Par Me Paul-Matthieu Grondin
Dans la cause de la Cour d’appel du Québec, Lareau c. Centre du camion Gamache inc., un directeur des ventes chevronné porte en appel une décision de la Cour supérieure qui rejette sa demande, à savoir qu’il avait été congédié de façon déguisée.
La trame factuelle est touffue, mais tentons de la résumer succinctement – nos excuses à l’avance aux parties. Ledit directeur des ventes voit son poste aboli de façon contemporaine à un congé de maladie, mais aura un nouveau contrat de travail à son retour. L’employeur respecte plus ou moins le nouveau contrat, et les relations entre l’employé et l’employeur connaissent plusieurs heurts. L’employeur modifiera des politiques de vente, il y aura des escalades verbales et même physiques, et l’employé n’aura plus accès aux chiffres de la compagnie (pour calculer ce qui lui est dû) qu’après des démarches en cour. L’employé se déclare congédié de façon déguisée et demande 24 mois en guise d’indemnité de départ, ainsi que plusieurs sommes lui étant dues.
La Cour d’appel relève trois erreurs dans le jugement de première instance, et nous étudions ici la première d’entre elle, qui confirme la notion très relative de l’intention réelle derrière le congédiement déguisé. En somme, il importe peu que l’employeur ait vraiment voulu se débarrasser de l’employé, c’est du point de vue de celui-ci qu’il faille examiner la question.
Voici la façon dont la Cour d’appel en discute :
[93] Je suis d’avis, dit en tout respect, qu’aux paragraphes 52 et 86 du jugement, la juge commet une erreur de droit en retenant que, pour démontrer son congédiement déguisé, l’appelant devait faire la preuve que les mesures prises par son employeur l’avaient été dans l’objectif de le contraindre à démissionner. Elle impose dès lors à l’appelant un fardeau plus exigeant que celui qu’impose la Cour suprême. Voici ce qu’elle écrit :
[52] Le Tribunal estime selon la preuve prépondérante que toutes ces décisions de CCG, énumérées au paragraphe 51 des présentes, ne constituent pas des modifications substantielles aux conditions de travail de Lareau et n’ont pas été prises dans le but de le contraindre à démissionner de son emploi.
[…]
[84] Les critères cumulatifs énumérés ci-après par la Cour supérieure qui permettent de conclure à un congédiement déguisé donnant ouverture à un recours en dommages et intérêts ne sont pas rencontrés en l’espèce :
« [28] À la lumière de ces passages de l’arrêt Farber, l’on peut résumer ainsi les éléments essentiels du congédiement déguisé :
- a) Une décision unilatérale de l’employeur;
- b) une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail;
- c) le refus des modifications apportées par l’employé;
- d) le départ de l’employé. »
[85] En effet, Lareau a accepté après son retour au CCG les modifications à ses conditions de travail en occupant un poste de vendeur.
[86] D’ailleurs, le fait que CCG instaure des nouvelles politiques d’entreprise, soit:
- a) celle touchant le stationnement;
- b) celle exigeant dorénavant l’autorisation préalable du coordonnateur des ventes; et,
- c) celle implantant un code de conduite,
ne constitue en rien une modification substantielle aux conditions de travail de Lareau mises en place pour le « forcer à démissionner ».
[Soulignements et caractères gras ajoutés]
[94] Tel que mentionné ci-haut et contrairement à ce que la juge retient, le test jurisprudentiel ne consiste pas, pour le tribunal, à se demander « si les mesures ont été mises en place par l’employeur dans le but de forcer un employé à démissionner », mais bien si, « eu égard à toutes les circonstances, une personne raisonnable s’étant trouvée dans la situation du salarié aurait vu dans la conduite de l’employeur la manifestation de son intention de ne plus être lié par le contrat »[34]. Ce test a ainsi été formulé par la Cour suprême pour éviter d’alourdir indûment le fardeau d’un employé se plaignant d’un congédiement déguisé : ce dernier n’a pas à prouver l’intention de l’employeur de le forcer à démissionner[35].
[95] Ainsi, la juge commet une erreur de droit en appliquant le mauvais test.