Par Me Paul-Matthieu Grondin
Dans la cause de la Cour d’appel du Québec, Lareau c. Centre du camion Gamache inc., un directeur des ventes chevronné porte en appel une décision de la Cour supérieure qui rejette sa demande, à savoir qu’il a été congédié de façon déguisée.
La trame factuelle est touffue, mais tentons de la résumer succinctement – nos excuses à l’avances aux parties. Ledit directeur des ventes voit son poste aboli de façon concurrente avec un congé de maladie, mais aura un nouveau contrat de travail à son retour. L’employeur respecte plus ou moins le nouveau contrat, et les relations entre l’employé et l’employeur connaissent plusieurs heurts. L’employeur modifiera des politiques de vente, il y aura des escalades verbales et même physiques, et l’employé n’aura accès aux chiffres des la compagnie (pour calculer ce qui lui est dû) qu’après des démarches en cour. L’employé se déclare congédié de façon déguisée et demande 24 mois en guise d’indemnité de départ, ainsi que plusieurs sommes lui étant dues.
Le directeur des ventes est à l’emploi depuis 1991, et la trame procédurale commence en 2015, ce qui lui donne alors une ancienneté de 24 ans. Nous examinons souvent des indemnités de départ dans ce blogue, et celle-ci fait l’objet du test classique, appliqué cette fois directement par la Cour d’appel. Bien qu’on pense souvent à l’ancienneté et à l’âge de l’employé, on doit aussi se rappeler que sa position dans l’entreprise (« clé », dans le cas qui nous occupe) est également indicative d’un plus long délai de congé.
Voici la façon dont la Cour d’appel en discute :
[128] Les articles 2091 et 2092 C.c.Q. sont d’ordre public[55]. La détermination de la durée du délai de congé en vertu de ces dispositions est essentiellement une question de fait qui dépend des circonstances de chaque espèce[56].
[129] Pour apprécier un délai de congé, il y a lieu de considérer « [l]es circonstances de chaque cas, de la nature de l’emploi de la durée de service du salarié, de son âge, ainsi que de la possibilité d’obtenir un poste analogue compte tenu de son expérience, de sa formation et de ses compétences »[57], comme la Cour le rappelait, sous la plume du juge Bouchard :
[53] L’article 2091 C.c.Q. parle plutôt d’un délai raisonnable, chaque cas étant un cas d’espèce devant être évalué en fonction des différents critères énumérés à cet article et développés par la jurisprudence. Les plus souvent invoqués sont les suivants :
▪ la nature et l’importance du poste occupé par l’employé, l’idée étant que plus le poste sera important, plus le délai-congé sera long;
▪ le nombre d’années de service de l’employé. Plus ce dernier sera ancien dans l’entreprise, plus le délai-congé sera long;
▪ l’âge de l’employé. Plus l’employé sera âgé, plus on présume qu’il lui faudra du temps pour se replacer sur le marché du travail et plus son délai-congé sera long;
▪ les circonstances ayant mené à son engagement. Un employé, par exemple, qui est sollicité et qui laisse un emploi rémunérateur et certain aura droit à un délai-congé plus long que celui qui est sans emploi ou dont l’emploi est incertain;
▪ la difficulté de se trouver un emploi comparable. Plus cette difficulté sera grande, plus le délai-congé sera long.
[54] Chose fondamentale à ne pas oublier, aucun de ces critères ne doit être examiné isolément. C’est dans une perspective globale qu’ils doivent être pris en compte, ce qui constitue un délai-congé raisonnable étant « essentiellement une question de fait qui varie avec les circonstances propres à chaque espèce ».[58]
[Renvois omis]
[130] L’appréciation d’un délai de congé n’est pas un exercice mathématique, mais résulte d’une analyse factuelle et contextualisée au regard de ce cadre d’analyse jurisprudentiel dont les critères doivent être considérés globalement[59].
[131] Il y a lieu de tenir compte de la durée de la prestation de travail et de l’emploi clé qu’occupait l’appelant au sein de l’entreprise, facteurs qui favorisent un long délai de congé. Il y a également lieu de considérer la rémunération élevée de l’appelant, laquelle doit être calculée en tenant compte de son nouveau contrat de travail. Il y a lieu de souligner qu’à son retour de congé de maladie, soit au cours des mois ayant précédé son congédiement déguisé, ses ventes n’ont pas été drastiquement réduites et que la moyenne de ses commissions, lesquelles dépendaient de sa performance au sein de l’intimée, est donc élevée[60].
[132] Je suis d’avis que son délai de congé aurait dû être de 18 mois, compte tenu de l’importance du poste qu’il occupait, du fait qu’il avait déjà 53 ans lors de son congédiement déguisé et qu’il a été diligent dans la recherche d’un nouvel emploi.
[133] De fait, il s’est trouvé un emploi d’octobre 2016 à mars 2017 chez Globocam et a ensuite créé sa propre entreprise. L’appelant a minimisé ses dommages en trouvant un emploi dès le mois d’octobre 2016, de sorte qu’il faut déduire la rémunération de 33 584 $ qu’il a effectivement gagnée chez Globocam d’octobre 2016 à mars 2017 de son indemnité de départ[61].
[134] Il y a donc lieu de conclure que l’appelant a droit à une indemnité de départ équivalente à 18 mois de salaire. Son indemnité doit inclure ses commissions moyennes pendant ce délai de congé, moins les sommes gagnées chez Globocam, tel que mentionné précédemment. Voici le calcul des sommes dues à l’appelant à ce titre :
Indemnité de départ de Lareau (18 mois)
Postes |
Montants |
Salaire annuel (clause 6.1) |
225 000,00[62] |
Commission (clause 6.2)
– Rémunération Globocam |
173 423,91[63]
– 33 584,62[64] |
Total |
364 839,29 |
[135] L’appelant a donc droit à une indemnité de départ de 364 839,29 $.