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On n’examine pas le fond de l’absence de préavis de départ raisonnable au stade de l’injonction interlocutoire

31 octobre 2022

Par Me Paul-Matthieu Grondin

 

 

 

Dans une décision très récente de la Cour supérieure en matière d’injonction interlocutoire, COOP Céramique-PRIMO c. Bilodeau et al., d’anciens employés (et fondateurs) d’une compagnie de carrelage qui s’adonnaient à une concurrence déloyale suivant leur départ font face à une demande d’injonction interlocutoire, ayant été sous le coup d’injonctions provisoires successives.

Ceux-ci avaient recruté d’anciens employés et contacté d’anciens clients très rapidement après (et même avant) leur départ.

L’un des critères de l’injonction, soit l’apparence de droit, est étudié ici sous l’angle du préavis de départ déficient. Même si on sait qu’en construction, les préavis sont très courts, il semble ici que certains des démissionnaires n’aient pas laissé suffisamment de temps à l’employeur pour pallier leur départ. Le juge indique que cela satisfait le critère.

Voyez son jugement quant au préavis :

 

 

[80]        En cette matière, l’article 2091 C.c.Q. énonce le principe suivant :

« 2091. Chacune des parties à un contrat à durée indéterminée peut y mettre fin en donnant à l’autre un délai de congé.

Le délai de congé doit être raisonnable et tenir compte, notamment, de la nature de l’emploides circonstances particulières dans lesquelles il s’exerce et de la durée de la prestation de travail.»

(Les emphases sont ajoutées.)

[81]        La nature de l’emploi et les circonstances particulières dans lesquelles il s’exerce sont donc des facteurs à considérer.

[82]        Or, tel que mentionné, en matière de relations de travail dans l’industrie de la construction, les conventions collectives prévoient des délais très courts en matière de préavis de départ, et les carreleurs comme Poulin et Meunier sont visés par celles-ci.

[83]        À titre d’exemple, dans la Convention collective 2021-2025 de l’ACQ régissant le secteur résidentiel[75], le délai n’est que de 48 heures :

« 13.02 Départ volontaire : Tout salarié qui désire quitter son emploi doit donner à son employeur un préavis de quarante-huit (48) heures précédant son départ effectif. »

[84]        Alors que dans la Convention collective 2021-2025 de l’ACQ régissant le secteur institutionnel et commercial[76], ce délai est réduit à seulement 4 heures ouvrables :

« 14.07 Départ volontaire : Tout salarié qui désire quitter son emploi doit donner à son employeur un préavis de quatre heures ouvrables.

Cependant, le défaut de tel avis ne peut être compensé par un remboursement de la part du salarié.»

[85]        Il semble donc que le défendeur Poulin aurait respecté ces délais conventionnés puisqu’il a donné sa démission le 5 août alors qu’il devait être de retour au travail le 8 août.

[86]        Le défendeur Meunier, qui était en congé parental au moment de rendre sa démission, semble aussi avoir respecté les délais de préavis prévus aux conventions collectives puisque son retour au travail n’était prévu que vers le 23 août 2022[77]. Le juge du fond décidera si le contrat de travail de Meunier, qui prévoit un préavis de départ de 30 jours, a préséance sur les dispositions des conventions collectives.

[87]        Si la COOP se dit lésée par le défaut de préavis de ces deux défendeurs, elle devait déposer un grief patronal devant les instances appropriées, ce qu’elle ne paraît pas avoir fait.

[88]        Quant au défendeur Bilodeau, il était un employé-cadre de la COOP et devait respecter l’obligation qui lui était imposée en vertu de l’article 2091 C.c.Q. Il savait ou ne pouvait raisonnablement ignorer que son départ soudain allait nuire aux opérations de la COOP.

[89]        En effet, alors qu’il travaillait pour Fana Déco Surface, Bilodeau a été approché par Lepêcheur afin d’aller travailler pour la COOP en vue d’y faire la gestion des opérations, car il n’y avait personne dans cette entreprise qui avait la capacité de préparer des soumissions pour des projets[78]. C’est lui qui était en charge des horaires et d’affecter les carreleurs aux projets en cours[79] et il était le supérieur des chargés de projets[80].

[90]        Il appartiendra évidemment au juge du fond de décider si Bilodeau a enfreint l’article 2091 C.c.Q. précité, mais à première vue, il aurait pu donner un préavis de départ plus long à la COOP.

[91]        Il est également vrai que Bilodeau n’a pas donné l’avis de démission de 30 jours énoncé à l’article 55 de la Loi sur les coopératives. Par contre, le litige ne concerne pas son statut de membre démissionnaire de la COOP, mais plutôt celui d’employé démissionnaire.

[92]        Ceci étant dit, ce n’est pas tant l’absence de préavis que les actes posés par les défendeurs en vue du retour des vacances de la construction qui posent problème. Sur ce point, il y a une apparence de violation de l’obligation de loyauté des défendeurs envers la COOP.