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Quand deux parties plaident avoir un contrat de services, mais que le juge en décide autrement et accorde une indemnité de départ

1 décembre 2022

Par Me Paul-Matthieu Grondin

 

 

 

Nous aimons toujours trouver quelques perles dans les décisions de la division des petites créances de la Cour du Québec pour donner des exemples pratiques de certaines théoriques juridiques qui ne pourraient autrement faire l’objet d’une décision. Aujourd’hui, nous étudions la sempiternelle question : contrat de services ou contrat de travail?

L’une ou l’autre qualification aura des conséquences différentes. Dans le cas de la rupture unilatérale d’un contrat de services, aucune indemnité de départ n’est accordée, mais il y aura des éléments avantageux du côté fiscal pour chacune des parties. À l’inverse, si on rompt un contrat de travail, l’employeur doit donner à l’employé un préavis raisonnable, comme le sauront bien sûr les habitués de ce blogue (si un tel groupe de personne existe).

Dans la cause Éric Poitras c. 9118-3616 Quebec inc., le demandeur est réparateur d’électroménagers, dont le travail est de s’occuper des problèmes qui pourraient survenir à ces appareils et qui sont couverts par une garantie donnée par son cocontractant (son employeur, au final). Voyez de quelle façon le juge décide de la qualification du contrat :

 

 

[4]           La qualification du contrat dont ont convenu les parties est primordiale. Les deux parties en discutent comme s’il s’agissait d’un contrat de service. Or, le Tribunal n’est pas lié par cette qualification que les parties se donnent elles-mêmes. Il s’agit plutôt de déterminer la nature réelle des liens qui régissent les relations entre les parties.

[5]           Or, les éléments portés à la connaissance du Tribunal mènent plutôt à la conclusion qu’il s’agit d’un contrat de travail. Cette qualification va trouver son importance dans la détermination des règles de terminaison du contrat.

[6]           L’élément de qualification principal qui permet de déterminer s’il y a existence d’un contrat de travail est la subordination du prestataire du travail à celui qui l’engage. La défenderesse est une entreprise qui fait le commerce de meubles électroménagers. À l’occasion de ses ventes, elle donne à ses clients une garantie de deux ans et, par conséquent, à l’occasion elle reçoit des appels relatifs à la garantie donnée.

[7]           Éric Poitras est celui qui se rend chez les clients de la défenderesse pour effectuer le travail nécessité par la garantie donnée par la défenderesse à ses propres clients.

[8]           Le propriétaire de 9118-3616 Québec inc. est l’ancien beau-frère du demandeur et ce dernier reconnaît la compétence d’Éric Poitras dans le domaine de la réparation des électroménagers. Il décide donc de confier ses réparations au demandeur. Leur entente n’est que verbale, et aucune rémunération fixe n’est établie. Dépendant du volume de travail effectué par Éric Poitras, celui-ci reçoit une rémunération horaire. Cette entente débute en 2015 et se poursuit jusqu’en 2019. Selon Éric Poitras, il reçoit en moyenne une rémunération de 750 $ par semaine. Il n’y a pas d’entente d’exclusivité : toutefois, en réalité, l’accomplissement du travail d’Éric Poitras chez 9118-3616 Québec inc. est sa seule activité rémunératrice.

[9]           9118-3616 Québec inc. ne fait pas affaire avec un autre réparateur, quoique Michel Martin, le propriétaire de 9118-3616 Québec inc., exécute à l’occasion le même ouvrage qu’Éric Poitras.

[10]        Par ailleurs, il y a une subordination économique évidente entre Éric Poitras et 9117-3616 Québec inc.

[11]        C’est la défenderesse qui est la seule source du travail fourni à Éric Poitras, c’est elle qui en définit le volume et ceci, en fonction de ses propres besoins. Un tel constat ne crée pas en soi une présomption de droit : il s’agit plutôt d’un fait qui doit être considéré par le Tribunal.

[12]        Ainsi, en considérant l’ensemble des éléments portés à la connaissance du Tribunal, la situation d’Éric Poitras est celle d’un employé et est régie par les dispositions pertinentes du Code civil du Québec[1] sur le contrat de travail.

[13]        Ce contrat est à durée indéterminée.