Par Me Paul-Matthieu Grondin
Dans la cause du Tribunal administratif du travail, Singh c. PCM Ventes Canada inc., un directeur des ventes à l’emploi depuis 16 ans se dit victime de congédiement déguisé.
En 2015, son employeur se retire d’un programme d’Investissement Québec qu’il jugeait trop contraignant dans sa gestion des ressources humaines. Ce programme prévoyait un chiffre plancher du nombre d’employés, et l’employeur ne voulait plus en conserver autant.
Logiquement, deux licenciements collectifs s’en suivent en 2015 et 2016, mais l’employeur a maille à plaider que le retrait du programme puisse encore être d’actualité comme raison de fin d’emploi en 2019, année où le directeur des ventes est remercié.
L’employeur échouera les deux étapes du test visant à motiver un licenciement. Premièrement, les motifs économiques n’étant plus présents pour justifier le licenciement, l’employeur n’a plus de raison de supprimer des postes. Ensuite, il ne s’acquittera pas non plus du test visant à choisir de façon objective et impartiale lesquels de ses employés subiront ledit licenciement. Le critère retenu pour choisir les employés était pourtant licite – la performance. Dans le cas qui nous occupe, le directeur des ventes avait été visé injustement, premièrement parce qu’on s’en prenait à son humeur puis parce qu’on ne lui avait pas permis de se distinguer équitablement au niveau de la performance.
Nous analysons aujourd’hui deux passages du jugement, l’un d’entre eux nous permettant encore une fois d’ajouter des passages à notre riche jurisprudence quant à la différence entre un congédiement et un licenciement :
[15] L’article 124 de la LNT confère aux salariés ayant au moins deux ans de service continu dans une même entreprise une protection à l’encontre d’un congédiement sans cause juste et suffisante.
[16] Cette disposition ne trouve cependant pas application lors d’un licenciement.
[17] Comme nous l’enseigne la Cour d’appel du Québec[3], le licenciement, contrairement au congédiement, entraîne une fin d’emploi pour des motifs qui ne sont pas attribuables au salarié :
[18] La frontière entre ces deux concepts est parfois bien mince, comme le montrent les discussions dont ils ont fait l’objet en jurisprudence. Le licenciement est une rupture complète du lien d’emploi pour des raisons qui ne sont pas imputables au salarié. Au contraire, le congédiement postule que l’employeur a toujours besoin des services de l’employé, mais, pour une raison ou une autre, n’entend plus qu’ils soient désormais rendus par celui-ci (Léveillée c. Murs secs Jalap inc.) […]
[18] Il incombe par ailleurs à l’employeur qui invoque un licenciement d’en faire la preuve. Il doit ainsi démontrer l’existence de motifs d’ordre économique ou organisationnel et établir que la fin d’emploi du salarié ciblé en résulte véritablement. La présence de tels motifs ne peut en effet servir de prétexte pour camoufler un congédiement déguisé et se débarrasser d’un salarié indésirable[4].
[19] Dans cette perspective, le Tribunal peut se pencher sur les critères de sélection retenus par l’employeur pour décider de mettre fin à l’emploi d’un salarié. Bien qu’il ne puisse s’ingérer dans la gestion de son entreprise, le Tribunal a néanmoins le pouvoir de s’assurer que l’employeur a appliqué des critères de sélection objectifs, impartiaux et non inspirés d’éléments subjectifs propres au salarié ciblé[5].
[20] À compter du moment où un employeur a démontré l’existence de réels motifs économiques ou organisationnels et la nécessité de procéder à des suppressions de postes en conséquence, il incombe alors au salarié de démontrer qu’à son égard, les critères retenus ont été partiaux, illicites ou discriminatoires[6].
Le deuxième passage nous rappelle les étapes à suivre pour un congédiement dit « administratif », ou pour motifs de performance. Dans le cas qui nous occupe, ces critères n’avaient pas été rencontrés :
[55] Or, en l’absence de véritables motifs économiques ou organisationnels, il ne pouvait invoquer un licenciement pour se départir d’un salarié dont il jugeait le rendement insatisfaisant, sans se conformer au processus évolutif que requiert un congédiement administratif.
[56] En effet, si l’employeur souhaitait mettre fin à l’emploi du plaignant pour cause de rendement insatisfaisant, il devait se conformer aux étapes suivantes[13] :
- Informer le salarié des politiques de l’organisation et lui signifier les attentes de celle-ci;
- Lui signaler ses lacunes;
- Lui apporter le soutien nécessaire pour corriger le tir et atteindre ses objectifs;
- Lui octroyer un délai raisonnable pour s’ajuster et satisfaire aux attentes;
- Le prévenir du risque de congédiement à défaut d’amélioration de sa part.
[57] Le 1er mai 2018, le vice-président des ventes à Montréal lui impose d’ailleurs une rétrogradation ainsi qu’une baisse de salaire, à la lumière des faibles résultats obtenus lors du premier trimestre de l’année.
[58] Il se ravise la semaine suivante en raison du congé qui avait été accordé au plaignant en janvier et février 2018. Ce dernier est alors informé par courriel qu’il bénéficie de deux trimestres supplémentaires pour accroître ses ventes et que son salaire sera réévalué lors du dernier trimestre de 2018. Cependant, aucune mesure de soutien n’est mise sur pied entre-temps et le plaignant n’est pas prévenu du risque de congédiement à défaut d’amélioration de sa part.
[59] Ce processus ne satisfait pas aux obligations qui incombaient à l’employeur et il ne pouvait invoquer un licenciement environ six mois plus tard pour contourner les règles applicables en matière de congédiement administratif.