Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration de Juliette Fucina
Nous recensons aujourd’hui la cause Lanouette c. Neuf Architectes inc., une décision dans laquelle le Tribunal administratif du travail statue sur une plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante.
Dans cette affaire, le plaignant est un architecte qui cumule une quarantaine d’années d’expérience et qui a été embauché par l’employeur en 2019. Le plaignant soutient que son congédiement a été fait sans préavis et prétend que sa réintégration dans l’entreprise est impossible vu le nouvel emploi qu’il occupe et le climat défavorable qui s’est installé entre lui et l’employeur depuis son congédiement.
Pour sa part, l’employeur soutient que ses insatisfactions envers le travail effectué par le plaignant étaient claires. Bien qu’aucun plan d’amélioration n’ait été mis en place, la période de mise à l’essai du plaignant a été prolongée et les insatisfactions nommées lors des différentes évaluations annuelles de rendement, ce qui témoigne de son mécontentement.
De l’avis du Tribunal, les procédures entreprises par l’employeur préalablement au congédiement ne sont pas suffisantes et ne respectent pas les principes en la matière. Il y a ainsi lieu d’accueillir la plainte et d’ordonner la réintégration du plaignant au sein de l’entreprise. Mentionnons que cette réintégration est effectivement ordonnée alors même que l’architecte et en emploi ailleurs, tel que nous le mentionnions plus haut.
Voyez la façon dont le juge Beaubien motive sa décision :
[32] De l’aveu même de monsieur St-Jean, l’employeur n’a pas suivi le processus applicable lorsque celui-ci désire se départir des services d’un salarié qui ne répond pas aux exigences de son emploi.
[33] Les étapes à suivre, maintenant bien connues, sont les suivantes :
[94] C’est dans ce contexte que les tribunaux exigent préalablement que l’employeur donne un délai raisonnable au salarié pour corriger ses lacunes et lui apporter un soutien pour le faire, avant de conclure à son incapacité́ d’accomplir ses fonctions. Le test à appliquer est ainsi résumé dans la décision Savoie c. Garage Montplaisir inc., [2000] no AZ-50307103 (C.T.) :
[52] […] la jurisprudence nous enseigne que, avant de congédier un employé́ pour incompétence, l’employeur doit s’assurer que :
- Le salarié connait les politiques de l’entreprise et les attentes fixées par l’employeur à son égard;
- Ses lacunes lui ont été signalées;
- Il a obtenu le support nécessaire pour se corriger et atteindre ses objectifs;
- Il a bénéficié d’un délai raisonnable pour s’ajuster;
- Il a été prévenu du risque de congédiement à défaut d’amélioration de sa part.
(référence omise)
[95] Cette analyse fut entérinée par la Cour d’appel dans les affaires Costco Wholesale Canada Ltd. c. Laplante, 2005 QCCA 788 et Canon Canada inc. c. Tétrault, 2011 QCCA 308.
[34] Bien qu’à quelques occasions monsieur St-Jean informe le plaignant de son insatisfaction concernant les trois mêmes lacunes qu’il manifeste, jamais il ne lui procure le support nécessaire visant à les corriger, pas plus qu’il ne lui fixe un échéancier pour y parvenir. Enfin, il ne le prévient pas qu’il risque de perdre son emploi s’il ne s’améliore pas.
[35] Cela étant, le Tribunal constate que même s’il a des raisons d’être insatisfait de la qualité́ du travail du plaignant, les étapes requises d’un employeur avant de congédier un salarié pour ce motif n’ont pas été suivies. En le congédiant le 10 mars 2022, l’employeur a donc abusé de son droit de mettre fin à l’emploi du plaignant. Par conséquent, il y a lieu d’accueillir la plainte.
[…]
[46] Les raisons données par le plaignant ne convainquent pas le Tribunal que sa réintégration est impossible.
[47] Le Tribunal ne croit pas qu’un climat malsain se soit installé́ entre celui-ci et les dirigeants de la firme. Le matin de l’audience, celui-ci s’est spontanément porté à la rencontre de monsieur St-Jean pour le saluer en lui donnant la main. Tout au long de celle-ci, les échanges entre les parties ont été respectueux et exempts d’une quelconque manifestation d’animosité́.
[48] Le fait de s’être trouvé un nouvel emploi et de le préférer à celui qu’il avait chez l’employeur n’est pas non plus un obstacle sérieux et réel empêchant sa réintégration.
[49] Le Tribunal en conclut donc que la réintégration du plaignant dans son emploi demeure possible et qu’elle doit dès lors être ordonnée