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Un chef de division opérationnel à l’emploi depuis 32 ans et qui fait l’objet de sanctions n’a pas été congédié de façon déguisée

27 avril 2023

 

Par Me Paul-Matthieu Grondin

 

 

Dans la très récente décision du Tribunal administratif du travail Desrochers c. Corporation d’Urgences-Santé, un chef de division opérationnel qui est à l’emploi depuis plus de 32 ans fait l’objet de mesures disciplinaires. Il dépose une plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante (un congédiement déguisé dans son cas).

L’employé en question a gravi les échelons pendant de longues années pour obtenir son poste actuel. Il lui est essentiellement reproché d’avoir utilisé un mauvais forum pour envoyer des courriels, d’avoir tiré des conclusions qu’il n’avait pas à tirer dans de longs courriels et d’avoir peiné à gérer convenablement certains appels.

L’employé n’est pas d’accord avec les reproches et le fait savoir à ses patrons. Ceux-ci établiront ensuite une certaine gradation des sanctions, qui vont de l’avis verbal à la suspension sans solde pour enquête administrative.

L’employé est en outre déployé vers une affectation temporaire où il n’a pas ses responsabilités usuelles, ce qui, en partie, équivaudrait à un congédiement déguisé (une modification substantielle d’un élément essentiel de son contrat de travail), argue-t-il.

Le tribunal en arrivera à la conclusion que l’employeur avait de réels motifs quant à sa gradation des sanctions, et qu’ils n’étaient pas un prétexte à congédiement. Quant à l’affectation temporaire, le tribunal dira qu’il s’agit d’une procédure normale de l’employeur, qui avait par ailleurs déjà affecté l’employé à d’autres moments dans sa carrière.

L’intérêt de ce blogue pour ce jugement réside dans ce résumé succinct du droit en la matière, particulièrement dans l’évidence mise en lumière au paragraphe 24 :

 

[19]      Un congédiement déguisé peut se présenter sous deux formes différentes.

[20]      La première résulte d’une série d’actes de l’employeur qui, au vu de toutes les circonstances, amènerait une personne raisonnable à conclure qu’il n’entend plus être lié par le contrat de travail[5].

[21]      La seconde se manifeste par une décision unilatérale de l’employeur d’apporter une modification substantielle aux conditions essentielles du contrat de travail et par le refus du salarié de l’accepter. Dans un tel cas, il faut voir si la modification constitue une violation du contrat de travail, et le cas échéant, déterminer si cela modifie substantiellement une condition essentielle du contrat de travail dans la perspective d’une personne raisonnable se trouvant dans la même situation[6].

[22]      Sous réserve de ce qui précède, un employeur peut, dans l’exercice de son pouvoir de direction, apporter toutes les modifications permises par le contrat de travail, ces dernières devant alors être considérées non pas comme des modifications, mais plutôt comme des applications de celui-ci[7]:

[…] l’employeur peut faire toutes les modifications à la situation de son employé qui lui sont permises par le contrat, notamment dans le cadre de son pouvoir de direction. D’ailleurs, ces modifications à la situation de l’employé ne constitueront pas des modifications du contrat de travail, mais bien des applications de ce dernier. Cette marge de manœuvre sera plus ou moins grande selon ce qui a été entendu entre les parties lors de la formation du contrat.

[23]      Les conditions de travail ne sont pas statiques, mais dynamiques et la latitude de l’employeur à cet égard dépend des circonstances et des modalités prévues au contrat de travail[8] :

[49]  En vertu du droit de gérance et de direction qui lui échoit de par l’article 2085 C.c.Q, l’employeur peut modifier les conditions de travail de ses salariés, même de façon unilatérale, afin d’adapter l’environnement de travail à l’évolution de l’entreprise, afin de rendre celle-ci plus productive ou de répondre à des contraintes externes, etc. L’entreprise est une sorte d’écosystème, si l’on veut, marqué de changements grands et petits. En conséquence, les conditions de travail sont dynamiques et non pas statiques, la marge de manœuvre de l’employeur dépendant évidemment des circonstances et des termes du contrat de travail.

[24]      Dans le contexte du présent dossier, il importe de garder à l’esprit que le recours prévu à l’article 124 de la LNT ne permet pas de contester une mesure disciplinaire, mais un congédiement, et que par ailleurs, une mesure disciplinaire ne constitue pas, à elle seule ou comme telle, une modification substantielle aux conditions essentielles d’un contrat de travail[9].