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Un conseiller en gestion et son congédiement déguisé après 23 ans de service

6 février 2024

Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration de Juliette Fucina

 

 

 

Dans la cause Mercure c. Bell Nordic inc., la Cour supérieure est saisie d’un recours en dommages pour congédiement déguisé.

 

Le demandeur, un conseiller qui travaille pour une entreprise qui offre des services de consultation en gestion et en développement organisationnel, soutient avoir été victime d’un congédiement déguisé lorsque son employeur a modifié de façon substantielle sa rémunération après 23 ans d’emploi. Il demande une indemnité de départ de 18 mois.

 

La défenderesse, l’employeur du demandeur, s’oppose à ces prétentions et soutient plutôt que l’employé a démissionné en 2017. Il affirme avoir mis à pied le demandeur pour des motifs économiques en 2016, mais argue l’avoir rappelé moins de 6 mois après l’événement et que c’est le demandeur qui a par la suite pris la décision de quitter.

 

Après analyse, la Cour réfutera les prétentions de la défenderesse et la condamnera à payer la somme de 50 524,98 $, soit approximativement 10 mois de rémunération, en plus de 2000 $ pour dommages moraux.

 

Voyez la façon dont le juge motive sa décision :

 

 

 

[41] Le congédiement déguisé implique que l’employeur « déguise » ses véritables intentions de se départir de son employé en tentant, par divers moyens ou subterfuges, de provoquer sa démission. De façon malicieuse, abusive ou maladroite, il réduit par exemple son salaire, ses avantages pécuniaires ou encore modifie ou diminue ses responsabilités, lui refuse sans raison valable des promotions promises, le harcèle ou utilise d’autres ruses du même ordre.

[42] À compter du 22 mai 2016, le statut d’employé salarié à temps plein de M. Mercure change drastiquement. Il devient un salarié occasionnel ou à la pige, payé à l’heure selon les mandats facturables qui lui seront confiés de temps à autre par M. Legentil, c’est-à-dire exécutés chez le client et facturés. Tout le « reste », soit les tâches administratives, la préparation de soumissions, la rédaction des rapports, la formation professionnelle, la préparation de matériel ou de produits et le démarchage ne sont plus rémunérés alors qu’elles l’avaient toujours été. Bref, pas d’heures facturables au client, pas de paie.

[43] La réduction de salaire est considérée comme une modification substantielle des conditions d’emploi.

[44] À l’audience, M. Mercure a fait la revue de ses assignations à compter du 11 mai 2016 avec le document de Bell Nordic. Certaines semaines ne sont payées que pour deux, trois ou quatre jours. Il faut considérer que M. Mercure avait droit à ses vacances déjà gagnées à l’été 2016. À compter du 6 septembre 2016, il n’a plus de rémunération.

[45] Du point de vue d’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances, il s’agit de changements substantiels au contrat de travail qui constituent un congédiement déguisé. L’employeur voulait qu’il démissionne.

[…]

[53] Aucune preuve documentaire sérieuse de la situation financière de Bell Nordic, sauf un diagramme manuscrit sur la baisse des ventes, n’a été présenté à l’audience, ce qui est une tentative maladroite faite a posteriori de justifier un congédiement. Il est manifeste que Bell Nordic n’a pas voulu ouvrir ses livres, ce qui jette un doute sur l’affirmation que « ça allait mal ». Généralement, ce genre de cachotterie fait en sorte de démontrer exactement le contraire de ce que l’on veut faire croire.

[54] Il n’y a eu aucune discussion formelle avec l’équipe à ce sujet lors de la réunion annuelle en décembre 2015; il n’était pas question de situation catastrophique, de coup de barre à donner, de coupure de poste. Entre janvier et mai 2016, il n’y a pas eu de réunion à cet égard avec l’équipe, ce qui aurait été normal dans une boîte de consultants en gestion du changement.

[…]

[63] Bref, les choses n’allaient pas si mal que ça pour Bell Nordic. En fait, on peut même supputer que le redressement financier s’est fait sur le dos de MM. Mercure et Genois.

[64] En décembre 2016, M. Legentil témoigne qu’il n’y a plus « d’heures coupées » chez les consultants ou de mesures d’urgence chez Bell Nordic. M. Mercure demeure le seul mis à pied. Il n’est pas informé de la levée des mesures d’urgence.

[…]

[78] L’auteur Me Frédéric Desmarais écrit :

Quoi qu’il en soit, les tribunaux et les commentateurs sont presque unanimes quant au fait qu’une mise à pied de six mois ou plus constitue une cessation d’emploi entraînant la rupture du contrat de travail. Par ailleurs, une mise à pied de moins de six mois pourrait aussi s’assimiler à un licenciement lorsqu’il appert d’une preuve prépondérante que l’employeur n’a jamais eu l’intention de rappeler le salarié et qu’il a qualifié la mesure imposée de mise à pied en vue de se soustraire aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 82 et suivants de la Loi sur les normes du travail.

[notes omises, nos soulignés]

[79] C’est aussi la conclusion de ce Tribunal.

[…]

[93] Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal est d’avis que, depuis le 17 mars 2017, le demandeur a un revenu au moins égal à celui qu’il recevait de Bell Nordic, ce qui réduit le délai de congé de huit mois.

[94] Le demandeur a droit à 10 mois de délai-congé moins les sommes gagnées durant cette période (22 mai 2016 au 16 mars 2017), tant chez Bell Nordic qu’auprès de tiers.

[95] Donc,

5/6 Sa – [(Sg-Va) +Ar]

Sa = salaire annuel = 105 768 $
Sg-Va = salaire gagné (Sg) chez Bell Nordic durant la période de 10 mois moins les 5 semaines de vacances (Va) déjà gagnées = 36 052,65 $
Ar = autres revenus pendant la période de 10 mois = 3 700 $

L’indemnité est de 48 387,35 $