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Un contre-exemple de gradation des sanctions adéquate

18 septembre 2024

Par Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration de Julia Leclair

 

 

Dans une décision récente de la Cour du Québec, Houdoyer c. Yusen Logistics Canada Inc., un directeur général obtient, en plus de son délai de congé, une somme de 8 000$ en dommages moraux en raison de l’atteinte à son honneur et à son intégrité découlant de son congédiement mauvaise foi, jugé injustifié et abusif.

En février 2018, Yusen Logistics, une entreprise japonaise spécialisée dans le transport international maritime et aérien, offre à M. Houdoyer le poste de directeur général de son bureau à Montréal. Cependant, la tâche s’avère plus ardue que prévue, notamment en raison du départ temporaire ou permanent de certains employés.

En juin 2019, M. McEwan, vice-président de l’entreprise, procède à l’évaluation annuelle de M. Houdoyer, évaluation qui est plutôt négative. M. Houdoyer exprime alors à M. McEwan son intention de démissionner, estimant qu’il n’est peut-être pas la personne adéquate pour occuper ce poste. Toutefois, ce dernier lui demande d’être patient et le convainc de reconsidérer sa décision. Le 8 juillet 2019, une rencontre est fixée pour discuter de divers sujets, mais à la grande surprise de M. Houdoyer, M. McEwan lui remet une lettre de congédiement.

L’employeur invoque comme motifs de congédiement que M. Houdoyer a une attitude irrespectueuse et non professionnelle à l’égard du président, des autres employés et des clients, qu’il a fait preuve de discrimination lors de l’entretien d’embauche d’une candidate, et qu’il ne respecte pas ses objectifs de performance.

Houdoyer soutient plutôt que le véritable motif de son congédiement est lié aux protestations ouvertes qu’il a formulées contre le non-respect par l’entreprise de la Charte de la langue française du Québec, contre la non-conformité aux exigences de Douanes Canada et qu’il eût également dnoncé le harcèlement exercé à l’encontre de certains employés, causant leur épuisement ou leur départ pour raisons médicales.

Bien que Yusen Logistics Inc. ait le droit de congédier M. Houdoyer sans motif, le Tribunal est d’avis que l’employeur n’a pas fourni de preuves suffisantes pour soutenir ses motifs de congédiement et qu’il a agi de mauvaise foi en utilisant ces prétextes pour congédier M. Houdoyer.

Voyez comment la juge a motivé sa décision :

 

 

[40] Toute la preuve qu’il tente d’introduire constitue du ouï-dire, preuve jugée irrecevable pour établir la véracité des allégations de Yusen, comme le Tribunal l’en informe à l’audience.

[41] Yusen n’adresse aucun avis verbal ou écrit à monsieur Houdoyer lui demandant de corriger son attitude, sinon que certaines mentions dans l’évaluation de juin 2019 dont le Tribunal traite plus loin.

[43] Rien ne permet cependant de conclure à la forme d’insubordination alléguée par Yusen ou à l’attitude irrespectueuse pouvant justifier le congédiement de juillet 2018.

[50] Yusen ne démontre pas que monsieur Houdoyer a été prévenu à l’avance qu’il pourrait être congédié si son rendement ne s’améliorait pas ni qu’il ait bénéficié d’une opportunité raisonnable de s’améliorer, le cas échéant.

[57] En l’absence de toute preuve contredisant le témoignage crédible de monsieur Houdoyer, le Tribunal conclut qu’il s’agit encore d’un prétexte pour le congédier.

[58] Le Tribunal trouve inusité le fait que Yusen ne mène aucune enquête alors que la plainte de madame Lico constitue apparemment une plainte pour harcèlement psychologique.

[59] Même si Yusen pouvait congédier sans motif monsieur Houdoyer, le Tribunal considère que l’entreprise procède à ce congédiement de façon abusive, inéquitable et de mauvaise foi, de façon brutale sans se soucier des conséquences prévisibles de ce geste pour son emploi monsieur Houdoyer.

[60] Yusen a usé de tromperie à son égard : la rencontre du 8 juillet était prévue pour discuter de différents aspects de son travail alors que de toute évidence, Yusen avait prévu son congédiement, dont les conditions écrites apparaissent à la lettre du 8 juillet 2019. Tout cela avait déjà été discuté et déterminé avant cette rencontre.

[61] Le Tribunal retient le témoignage de monsieur Houdoyer à l’effet que ce congédiement brutal et sans préavis effectué en présence des employés l’atteint dans sa dignité et dans son honneur.

[73] Or, le Tribunal a conclu plus haut à la faute de Yusen à l’occasion du congédiement de monsieur Houdoyer et du fait que cela lui cause préjudice et porte atteinte à son honneur et à sa dignité.

[80] Loin de procéder au congédiement de monsieur Houdoyer de bonne foi, Yusen le fait de façon malicieuse et incorrecte. Faut-il le rappeler, moins d’un mois avant son congédiement, son vice-président encourage monsieur Houdoyer à rester en poste alors que ce dernier est prêt à démissionner.

[81] Par ailleurs, aucun motif de reproche, aucun avis disciplinaire ne lui est transmis si ce n’est celui du mois d’octobre 2018, non fondé selon la preuve.