Par Me Paul-Matthieu Grondin
Dans une décision très récente de la Cour supérieure, Boucher c. Semafo inc., un contre-maître québécois travaillant dans une mine au Burkina Faso se fait congédier alors qu’il est en congé sans solde, craignant d’être contaminé par la COVID et d’avoir à souffrir des soins insuffisants en Afrique.
Alors que l’épidémie de COVID-19 frappe le monde en mars 2020, le contre-maître est responsable d’une mine à Mana. Il réussit à revenir au Canada alors qu’on tente de rapatrier les ressortissants. Au cours des semaines et des mois qui suivent, son employeur semble réussir à offrir un environnement de travail sain à la mine et lui demande de retourner y travail. Celui-ci, anxieux quant à la maladie, et qui était en congé sans solde, demande un temps pour y réfléchir. L’employeur, y voyant de l’insubordination, le congédie.
Aujourd’hui, nous étudions la durée de son délai de congé, puisque nous avions étudié dans un billet précédent les motifs de congédiements, qui étaient insuffisants selon le juge, et qui donnaient ouverture à une indemnité de départ.
Ici, le juge retient la politique de l’entreprise, qui applique la rule of thumb qui, selon le contrat de travail de M. Boucher, lui donnait droit à 11 mois d’indemnité. Le juge croit cette durée appropriée, bien qu’il aurait pu accorder davantage. Il applique de façon rigoureuse les enseignements de Meloche c. Lamerin (qui a déjà fait l’objet d’un billet de ce blogue), qui permet à un travailleur de ne pas avoir à mitiger son préjudice dans la période de l’indemnité couverte par le contrat. Il aurait eu à mitiger son préjudice dans une période additionnelle donnée par le juge, le cas échéant :
[118] Relativement à la durée du délai-congé à retenir, tous sont d’accord pour dire que la politique d’indemnité de licenciement de Semafo[84] est applicable en l’espèce si le Tribunal conclut que le congédiement de monsieur Bouchard est injustifié. Cette politique prévoit que monsieur Bouchard a droit à quatre semaines par année de service.
[119] Le Tribunal retient cette base à titre de délai-congé et n’estime pas qu’il soit opportun d’accorder à monsieur Boucher un délai-congé plus long.
[120] Il convient ensuite de se pencher sur l’obligation de minimisation des dommages qui commande généralement de soustraire les gains réalisés durant la période du délai de congé du montant de l’indemnité de départ à laquelle le salarié a droit, sous réserve de l’exception à cette règle qualifiée d’« avantage de non-mitigation ».
[121] À cet égard, rappelons que dans l’arrêt Structures Lamerain inc. c. Meloche, la Cour d’appel nous enseigne ce qui suit[85] :
46 La jurisprudence reconnait que l’obligation de mitigation des dommages commande généralement de soustraire les gains réalisés durant la période du délai de congé du montant de l’indemnité de départ à laquelle le salarié a droit.
47 Il existe toutefois une exception à cette règle, qualifiée d’«avantage de non-mitigation», que notre Cour résume ainsi dans l’arrêt Aksich :
136 À mon avis, l’ensemble de la preuve démontre que la politique de résiliation de l’intimée, notamment quant à la question de l’indemnité tenant lieu de délai de congé, constitue non pas une condition de travail à proprement parler mais un avantage lié à l’emploi, qui fait partie intégrante des termes du contrat de travail. D’une certaine façon, l’intimée a elle-même établi une sorte de norme minimale qui, pour être contractuelle, ne l’en oblige pas moins et à laquelle elle ne peut déroger. Je dis «norme minimale», car, en raison de l’article 2092 C.c.Q., cette politique ne peut empêcher l’appelant de réclamer (et d’obtenir) tout ce à quoi il peut avoir droit en vertu de l’article 2091 C.c.Q.
137 Il me semble par conséquent normal que, pour la période et le montant correspondant au délai de congé auquel l’appelant avait droit selon cette politique, aucune mitigation ne soit effectuée par soustraction des revenus que l’appelant a pu gagner pendant l’équivalent de ce délai. Le fait que l’offre ait été faite à l’appelant «without prejudice», comme l’indique la lettre de licenciement du 12 juillet 2001, ne peut exonérer l’intimée de respecter sa propre politique.
138 L’appelant ne serait donc tenu de mitiger ses dommages que pour l’excédent de cette somme, excédent qui s’explique à la fois par la durée plus grande du délai de congé auquel il avait droit selon la loi et par la prise en considération des avantages sociaux pendant toute cette période. Autrement dit, il ne doit pas y avoir de mitigation jusqu’à concurrence de 169 400 $, seule la portion résiduelle de l’indemnité devant être affectée, ce qui permet de tenir compte à la fois 1. de la différence de durée entre l’indemnité proposée par l’intimée à compter du 31 août 2001 et l’indemnité que je propose, à compter de la même date, et 2. de la différence entre le facteur salarial auquel l’appelant a droit en vertu du droit commun et le facteur salarial employé par l’intimée aux fins de son offre de 169 400 $.
[Je souligne]
[122] Dit autrement, seuls les gains obtenus postérieurement au délai de congé prévu par le contrat de travail seront déduits des indemnités accordées[86].
[123] Puisque le Tribunal limite le délai-congé auquel monsieur Boucher a droit à celui prévu à la politique d’indemnité de licenciement de Semafo, ce à quoi il aurait eu droit dès le 6 mai 2020, il n’y a pas lieu de soustraire de ce délai-congé les sommes perçues dans ses emplois subséquents durant ce délai. Monsieur Boucher n’a pas à minimiser ses dommages pendant cette période.
[124] Ainsi, puisqu’il compte onze années et cinq mois de service au moment de son congédiement, il a contractuellement droit à 45,66 semaines de délai-congé[87]. Son salaire bimensuel brut étant de 7 021,86 $ (incluant sa prime de rétention[88]), monsieur Boucher a droit à une indemnité tenant lieu de délai-congé contractuellement prévu de 160 309,06 $[89], et ce, indépendamment des revenus qu’il a pu gagner dans le cadre de son nouvel emploi.
[125] Monsieur Boucher réclame uniquement 147 250,15 $. Il a donc droit à la totalité du montant réclamé à ce chapitre.