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Un contre-maître de 56 ans travaillant dans une mine à l’étranger est congédié en temps de COVID et obtient 11 mois d’indemnité de départ

7 octobre 2022

Par Me Paul-Matthieu Grondin

 

 

Dans une décision très récente de la Cour supérieure, Boucher c. Semafo inc., un contre-maître québécois travaillant dans une mine au Burkina Faso se fait congédier alors qu’il est en congé sans solde, craignant d’être contaminé par la COVID et d’avoir à souffrir des soins insuffisants en Afrique.

Alors que l’épidémie de COVID-19 frappe le monde en mars 2020, le contre-maître est responsable d’une mine à Mana. Il réussit à revenir au Canada alors qu’on tente de rapatrier les ressortissants. Au cours des semaines et des mois qui suivent, son employeur semble réussir à offrir un environnement de travail sain à la mine et lui demande de retourner y travail. Celui-ci, anxieux quant à la maladie, et qui était en congé sans solde, demande un temps pour y réfléchir.

L’employeur, y voyant de l’insubordination, le congédie. La cause qui nous occupe aujourd’hui explique qu’il ne faut jamais procéder à un congédiement trop rapide et qu’il ne faut voir de l’insubordination ou de l’inexécution contractuelle que là où il est certain d’y en avoir.

Ainsi, le tribunal, dans ses mots :

 

[83]        Semafo plaide qu’elle était justifiée de congédier monsieur Boucher qui a abandonné ses fonctions en refusant de retourner au site de la mine de Mana le 22 avril 2020.

[84]        Elle a tort.

[85]        Le 22 avril 2020, lorsque monsieur Boucher exprime le souhait de demeurer en congé sans solde, il n’abandonne pas ses fonctions ni commet de l’insubordination. Il exerce ce qu’il croit lui être possible de faire suivant l’échange tenu avec madame Lavallée quelques semaines plutôt[58]. Rappelons que madame Lavallée fait partie de l’équipe des ressources humaines et constitue une personne-ressource à qui les employés peuvent adresser leurs questions à la suggestion de monsieur Mélanson[59].

[86]        De plus, lorsqu’il demande d’abord un temps de réflexion après que madame Labelle lui ait lu le script préétabli, cette dernière ne lui dit pas qu’aucun choix ne s’offre à lui. Plutôt, elle acquiesce à sa demande de réflexion. Par la suite, lorsqu’il exprime son choix de demeurer en congé sans solde, madame Labelle ne l’informe toujours pas qu’aucun choix ne lui est offert. Plutôt, elle lui répond gentiment : « Ok. Parfait. Je prends bonne note de cela Richard. Merci de m’avoir rappelé. ».

[87]        Semafo soumet que le message lu par madame Labelle le 22 avril 2020 est clair et sans équivoque puisqu’elle y répète que l’employeur « a besoin » de lui. Selon Semafo, monsieur Boucher devait comprendre qu’il n’avait pas le choix de retourner sur le site de la mine. Avec égards, le mot-à-mot du script lu par madame Labelle n’est pas si clair, particulièrement si on se place dans les chaussures de monsieur Boucher qui n’a pas de quart opposé à remplacer.

[88]        À tort ou à raison, monsieur Boucher croit pouvoir demeurer en congé sans solde et il n’appartient pas au Tribunal d’évaluer la raisonnabilité de sa décision à cet égard. Le débat n’est pas là. La question est celle de savoir si, ce faisant, il refuse d’exécuter sa prestation de travail, commettant par le fait même de l’insubordination ou manquant aux obligations essentielles de son contrat de travail.

[89]        Or, comment voir dans la décision de monsieur Boucher une intention coupable de ne pas exécuter sa prestation de travail alors qu’il pense sincèrement avoir le droit de demeurer en congé sans solde dans les circonstances, d’autant plus qu’il continue de prendre ses courriels après cette date et de répondre aux questions de ses collègues notamment concernant une procédure de dénoyage qui est en cours au site de la mine.

[90]        Ainsi, le Tribunal ne peut voir, comme le propose Semafo, un refus sans équivoque par monsieur Boucher d’exécuter sa prestation de travail. Qui plus est, même si tel était le cas, il aurait certainement eu le droit à un avertissement des conséquences découlant de son choix.

[91]        Peut-être que monsieur Boucher ne serait jamais retourné au site de la mine comme le soutient Semafo même si on l’avait avisé des conséquences de son choix. Peut-être aurait-il décidé que son anxiété était trop importante pour qu’il y retourne finalement, indépendamment de l’évolution de la Covid-19. L’histoire ne le dit pas et ne le dira jamais parce que Semafo a choisi de tirer sur la gâchette hâtivement en le congédiant sans l’aviser et sans lui donner l’opportunité d’être entendu.

[92]        Incontestablement, lorsqu’elle décide d’imposer la peine capitale de l’emploi à un employé de cinquante-six ans qui n’a jamais fait l’objet de sanction disciplinaire, Semafo agit drastiquement à l’égard d’un employé qu’elle sait anxieux en raison de sa situation médicale personnelle qui le rend vulnérable, le tout dans un contexte de pandémie mondiale unique qui commande une réaction adaptée[60].

[93]        Semafo ne peut agir comme elle le fait. Au minimum, elle se devait de valider sa compréhension des faits auprès de monsieur Boucher et de l’informer des conséquences auxquelles il fera face si sa compréhension s’avère exacte. Pour le congédier, Semafo se devait d’être devant un refus persistant de travailler[61].

[94]        Or, monsieur Boucher n’a jamais eu droit à cet appel. Il n’a jamais eu la chance de s’amender, si tant est qu’il eût à le faire et il n’appartient pas au Tribunal de se plonger dans un exercice hypothétique de ce qu’aurait été sa réponse s’il avait eu cette dernière chance[62]. Il n’appartient pas non plus au Tribunal de questionner pourquoi monsieur Boucher ne s’insurge pas lorsqu’il apprend qu’il est congédié ou ne cherche pas à convaincre Semafo de sa compréhension des choses. Sa réaction est compatible avec son tempérament discret et peu volubile que le Tribunal a été à même de constater durant son témoignage.

[95]        Cela dit, le Tribunal ne peut conclure, comme le propose l’avocat de monsieur Boucher, qu’il était drôlement accommodant pour Semafo de se débarrasser de monsieur Boucher avant sa vente à Endeavour Mining et avant que plusieurs employés n’obtiennent des indemnités de départ en conséquence. La preuve ne permet pas une telle conclusion. Toutefois, le Tribunal conclut, comme l’affirme candidement l’avocate de Semafo, que l’employeur estimait qu’il ne pouvait se permettre d’avoir un employé qui demeurait en congé sans solde. Semafo voulait envoyer un message fort et pour ce faire, monsieur Boucher est sacrifié. Cette façon de faire dans les circonstances est blâmable et constitue un congédiement sans cause juste et suffisante. Monsieur Boucher doit être indemnisé.