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Un directeur de compte réclame sa bonification qui le mène à une fin d’emploi… et à sa réintégration

9 mai 2023

 

 

Par Me Paul-Matthieu Grondin

 

 

Dans la très récente décision du Tribunal administratif du travail Jreidini c. SoftwareOne Canada inc., un employé directeur de comptes a gain de cause quant à ses demandes en matière de bonification.

L’employé semble en tous points modèle dans cette cause qui combine une plainte pour pratique interdite et une plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante. Comme les habitués de ce blogue (des millions et des millions de personnes, comme chacun sait) le savent, si on accueille une plainte pour pratique interdite, on accueillera automatiquement la plainte pour congédiement sans cause.

Ledit employé voit sa compagnie avalée par un autre. Alors qu’il semble y avoir plusieurs changements organisationnels, l’employé constate qu’il ne pourra atteindre certains objectifs qui mèneraient à sa bonification, parce que son employeur ne lui donne plus les moyens d’y parvenir. Il s’en plaint à son employeur qui, lui, temporise. Ce dernier finira par faire comprendre au directeur de compte que s’il n’atteint pas ses cibles, il sera congédié.

Dès lors, nous sommes en présence d’un congédiement sans cause juste et suffisante, qui résulte d’une pratique interdite, soit celle d’avoir subi des représailles après avoir exercé un droit, celui de demander sa rémunération – ici, la bonification.

Voici le détail :

 

 

[70]      À la lumière de la preuve, le Tribunal retient la version de monsieur Jreidini qui, quant aux éléments essentiels, a été confirmée ou tout simplement non contredite par les témoins de l’Employeur. Il a témoigné avec aplomb en donnant de nombreuses précisions et a déposé plusieurs documents qui corroborent ses prétentions.

[71]      De plus, les affirmations de monsieur Charter et mesdames McKinney et Ravencroft voulant qu’il était clair que les conditions de travail demeureraient inchangées jusqu’à l’intégration ne cadrent tout simplement pas avec les réponses données à monsieur Jreidini. Qu’il suffise de référer au courriel de monsieur Charter du 20 juin où il mentionne clairement à ce dernier de se concentrer sur le profit brut et qu’il verrait à la fin du trimestre avec monsieur Lomax et la vice-présidente si les cibles pouvaient être réajustées.

[72]      Qui plus est, si tel était réellement le cas, pourquoi ne pas simplement le lui dire lors de ses nombreuses interventions au lieu de laisser planer un certain flou en refusant d’adresser des inquiétudes qui étaient manifestement légitimes dans les circonstances.

[73]      Il est évident qu’en omettant de traiter les problèmes soulevés par monsieur Jreidini et en négligeant de lui fournir les moyens et les outils pour réussir, l’Employeur a par ses actes démontré son intention de ne plus être lié par le contrat de travail qui les unissait.

[74]      Soulignons qu’il ait cherché et accepté un emploi alors qu’il est toujours un salarié de l’Employeur ne milite pas ici en faveur de la démission, car il explique que sa décision n’était pas finale et qu’il espérait sauver son emploi. À ce moment, son intention n’est pas de quitter son poste si on le rassure sur la suite des choses. Il explique qu’il a beaucoup investi depuis 2017 pour monter une unité d’affaire qui performe bien et il y croit encore. C’est pour cela qu’il se rend à Las Vegas.

[75]      Or, c’est au cours de cette rencontre qu’il lui appert que les modifications qui lui ont été imposées (par l’impossibilité de se constituer une équipe complète et par la confirmation que ses objectifs ne seront pas révisés pour tenir compte de cet élément pourtant essentiel à sa réussite) prennent un caractère définitif. Il lui est alors clairement exprimé par le chef des opérations que la non-atteinte des cibles entraînera son congédiement.

[76]      Pourtant, il n’est pas contredit qu’à ce moment, ses objectifs pour le trimestre qui vient de se terminer ne le sont pas et que la situation sera la même pour celui en cours. Il ne s’agit donc plus d’une appréhension, mais d’une certitude et il avait alors raison de se considérer victime d’un congédiement déguisé. À ce moment, il n’y avait plus de place à discussions entre les parties, bien que l’Employeur soutienne qu’il faisait partie des plans de l’entreprise. Par ses actions, il lui a plutôt manifesté le contraire et une personne raisonnable placée dans la même situation en serait arrivée à la même conclusion que monsieur Jreidini.

[77]      Par conséquent, la thèse de la démission invoquée par l’Employeur n’est pas démontrée, le Tribunal en arrivant à la conclusion que la rupture du lien d’emploi résulte d’un congédiement déguisé. Ce faisant, l’Employeur a «épuisé ses explications pour justifier la fin d’emploi », il n’a donc pas pu repousser la présomption en faveur de l’illégalité du congédiement et la plainte en vertu de l’article 122 de la LNT est accueillie.

[78]      De plus, la fin d’emploi procédant d’un motif illégal est nécessairement injuste et faite sans cause juste et suffisante. Il faut donc aussi accueillir la plainte en vertu de l’article 124 de la LNT.