Par Me Paul-Matthieu Grondin
Dans Shatilla c. REMAX Royal (Jordan) inc., un employé qui était initialement un courtier immobilier devient directeur de sa branche. À la demande de son employeur, il avait abandonné sa clientèle comme courtier pour ce nouveau poste de direction.
Sa branche ayant été acquise par de nouveaux employeurs, un différend s’en suit avec le directeur. Essentiellement, le directeur aurait envoyé une cliente qu’il connaissait chez une firme rivale pour la vente de sa maison. Il est congédié sur le champ.
Dans le cas qui nous occupe, le juge retient que les raisons pour le congédiement ne sont pas suffisantes, et nous les étudierons dans un billet demain. Pour l’instant, ce qui nous intéresse, ce sont les raisons de l’octroi de 9 mois en indemnité de départ (le directeur en réclamait 12) :
[56] Un délai-congé de neuf mois était approprié dans les circonstances.
2.2 Faits pertinents à la question en litige
[57] Au moment de son congédiement, Monsieur Shatilla a 71 ans. Cinq ans plus tôt, à la demande de l’employeur, il a abandonné sa clientèle pour prendre le poste de directeur. Il est loisible de croire qu’il s’agissait d’une belle transition en fin de carrière.
[58] La valeur de sa rémunération est établie à 125 000 $ par année en considérant les avantages reliés à son emploi.
[59] À son départ, Monsieur Shatilla ne reçoit ni le salaire dû pour les jours travaillés (4 jours), ni le paiement de ses vacances et encore moins une indemnité de départ.
[60] Le lendemain de son départ, Monsieur Shatilla est recruté par Madame Kafena, propriétaire de l’agence Century 21. Il agit comme agent et directeur, ce dernier poste étant sans rémunération.
[61] Il n’a pas établi de curriculum vitæ ni recherché un autre poste de directeur.
[62] Il dit avoir reçu des offres de deux autres courtiers immobiliers sans mentionner les conditions rattachées à ces offres ni pour quelles raisons il les a refusées.
[63] Il consacre entre 10 % et 15 % de son temps à ses fonctions de directeur. En retour, Madame Kafena lui donne des pistes ou lui réfère des clients pour l’aider à se reconstruire une clientèle.
[64] Du 10 mai 2019, le lendemain de son congédiement, jusqu’à la même date en 2020, Monsieur Shatilla a des gains d’emploi de 42 470 $ et des dépenses de 8 843,79 $ pour un revenu net de 33 626,21 $.
[65] Parmi les facteurs considérés par les Tribunaux pour établir la durée raisonnable du délai-congé, il y a la nature du poste occupé, les circonstances particulières dans lesquelles il s’exerce et la durée de celui-ci[14].
[66] Dans un jugement récent, en plus de ces critères, le juge Immer, j.c.s., écrit :
[16] The courts have further fleshed out what criteria must be taken into account. The Court of Appeal in Stewart notes that many factors must be evaluated in a “perspective globale”. Courts principally weigh the following factors in setting an appropriate severance period:
➢ the circumstances of the hiring;
➢ whether the employee was lured away from another position;
➢ the nature and importance of the position;
➢ the expected remuneration;
➢ the length of the employment period and the difficulty to find similar employment.[15]
[citations omises]
[67] L’objectif est de permettre à l’employé de bénéficier d’un certain délai pour se consacrer à la recherche d’un emploi comparable et non de compenser tous les inconvénients reliés à la perte d’emploi[16].
[68] Si d’aventure l’employé remercié décide de se consacrer plutôt à des projets d’affaires personnels, les Tribunaux peuvent limiter le délai-congé applicable[17].
[69] Les avantages qui sont rattachés à un emploi font partie des sommes à considérer lors de l’établissement de la valeur du délai-congé.
[70] L’employé a l’obligation de minimiser ses dommages, cependant, le fardeau de démontrer que l’employé ne s’est pas acquitté de cette obligation repose sur les épaules de l’employeur[18].
2.4 Discussion
[71] En application des principes ci-dessus, un cadre de niveau intermédiaire, âgé de 71 ans, qui a un passé sans tache, que l’on a convaincu de prendre le poste de directeur, qu’il a occupé pendant 5 ans sans l’ombre d’un reproche, peut s’attendre à un délai-congé de neuf mois[19].
[72] À défaut de ce préavis, il aura généralement droit à la rémunération brute qu’il aurait gagnée s’il avait reçu tel préavis.
[73] Remax oppose qu’en acceptant, le lendemain de son congédiement, un poste d’agent dans une agence immobilière sans rémunération fixe, Monsieur Shatilla ne satisfait pas à son obligation de minimiser ses dommages.
[74] Le Tribunal est conscient que Monsieur Shatilla prend un certain risque d’affaires en retournant à la pratique du courtage qu’il a abandonnée cinq ans auparavant. Ce n’est généralement pas à l’employeur de supporter ce risque d’affaires.
[75] Il faut toutefois prendre en considération que c’est là le métier premier de Monsieur Shatilla et que sa nouvelle agence lui offre des pistes pour des dossiers et à l’occasion lui réfère des clients. Cet arrangement lui permet d’avoir un revenu net de 33 626 $ dès la première année.
[76] Vu autrement, si Monsieur Shatilla s’était mis à la recherche d’un poste équivalent à celui de directeur, le délai nécessaire pour le dénicher nous ramènerait dans la même situation que de lui reconnaître les revenus immédiats dont il a bénéficié même s’ils sont moindres sur une base annuelle.
[77] Remax plaide que le fait que le demandeur accepte d’agir comme directeur sans rémunération ne devrait pas lui être opposable.
[78] Encore une fois, il faut voir la contrepartie. Son travail de directeur n’occupe qu’une petite partie de son temps. C’est aussi en échange de ce travail que Madame Kafena, propriétaire de l’agence Century 21, lui donne des pistes de dossier et lui réfère des clients.
[79] Au prorata, sur 9 mois, ses revenus gagnés représentent 25 219,50 $. Son revenu d’emploi comme directeur de Remax lui aurait valu 93 750 $ pendant cette même période. Il a donc droit à une indemnité de 68 531 $.