Par Me Sabrina Roberge, avec la collaboration de Mme Mariane Judge
Dans une décision de la Cour supérieure, Jutras c. La Presse (2018) Inc., un employeur a abusé de son droit d’ester en justice en tentant d’empêcher un ancien employé de travailler. Dans sa demande, l’ancien employeur a invoqué une clause de non-concurrence au contrat de travail qui a été déterminé invalide par le Tribunal.
À la suite d’un changement d’emploi, l’employé en question est mis en demeure par son ancien employeur de respecter son devoir de loyauté et son entente de non-concurrence. En somme, il est mis en demeure de cesser de travailler pour son nouvel employeur.
En se prononçant sur l’injonction provisoire déposée par l’employeur, le juge a souligné que la clause de non-concurrence ne comporte pas de limite quant au « genre de travail » prohibé ce qui contrevient à l’article 2089 du Code civil du Québec. La clause empêche « d’occuper tout emploi, de quelque nature que ce soit, dans toute entreprise impliquée de près ou de loin dans la vente d’espace publicitaire au Québec, que cette entreprise soit ou non un média d’information ». Elle ne se limite donc pas à ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de l’employeur.
Un peu plus tard, l’ancien employeur a déposé une demande de sauvegarde qui a également été rejetée. En réponse, l’employé a notifié une demande en déclaration d’abus et en dommages et intérêts en raison de l’acharnement et de l’usage abusif du processus judiciaire par son ancien employeur.
Le Tribunal a estimé que l’ancien employeur a abusé de son droit d’ester en justice en intentant un recours contre l’employé. Le juge a établi que la clause de non-concurrence était invalide, car elle ne se limitait pas à ce qui était nécessaire pour protéger ses intérêts légitimes, ce qui fut encore plus apparent à la suite du jugement rejetant l’injonction provisoire. Il a donc accueilli la demande de l’employé qui a eu droit au remboursement des honoraires professionnels de ses procureurs et des débours effectués en plus de dommages pour le stress et les inconvénients subis.
Voyez la façon dont le juge motive sa décision :
[82] L’article 2089 C.c.Q. stipule : Les parties peuvent, par écrit et en termes exprès, stipuler que, même après la fin du contrat, le salarié ne pourra faire concurrence à l’employeur ni participer à quelque titre que ce soit à une entreprise qui lui ferait concurrence. Toutefois, cette stipulation doit être limitée, quant au temps, au lieu et au genre de travail, à ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de l’employeur. Il incombe à l’employeur de prouver que cette stipulation est valide.
[…]
[85] Comme le rappelle le juge Bachand au paragraphe 10 de son jugement, « une clause de non-concurrence est contraire à l’ordre public – car contraire à la liberté de travail – à moins que l’employeur ne prouve : a) qu’elle est limitée, quant au temps, au lieu et au genre du travail; et b) que sa portée est limitée à ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de cet employeur.»
[86] En l’instance, l’engagement de non-concurrence empêche Jutras d’occuper tout emploi, de quelque nature que ce soit, auprès de toute personne, entreprise ou organisation impliquée, directement ou indirectement, dans la vente d’espace publicitaire au Québec, dans les douze mois suivants la terminaison de son emploi, et ce, peu importe que cette entreprise ou organisation soit ou non un concurrent de La Presse dans l’édition de médias d’information.
[…]
[93] De l’avis du Tribunal, La Presse a abusé de son droit d’ester en justice en instituant son recours en injonction alors qu’elle savait ou aurait dû savoir qu’il lui était impossible de démontrer que l’entente de non-concurrence se limitait à ce qui était nécessaire pour protéger ses intérêts légitimes.