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Un exemple de cumul d’indemnité pour perte salariale et d’indemnité pour perte d’emploi

17 mai 2023

 

 

 

Par Me Paul-Matthieu Grondin

 

Dans la décision récente du Tribunal administratif du travail Beaudry c. Résidence 5500 inc., on rend une décision en révision sur une question purement juridique, à savoir si, dans le cas de doubles plaintes pour pratique interdite et congédiement déguisé, on peut à la fois rendre une ordonnance d’indemnité pour perte salariale et une indemnité pour perte d’emploi… lorsque que la réintégration avait été ordonnée.

Ici, techniquement, la première décision du TAT avait ordonné la réintégration à la suite d’une plainte pour pratique interdite. Or, les remèdes possibles pour celle-ci n’incluent pas l’indemnité pour perte d’emploi, qui est prospective, alors que l’indemnité pour perte salariale, elle qui est prévue comme remède, compense l’employé pour la période entre sa fin d’emploi et sa réintégration.

Dans notre cause, le TAT avait jugé sa réintégration impossible après l’avoir ordonnée, et a ensuite plutôt ordonné une indemnité pour perte d’emploi, cette fois-ci en vertu de la plainte faite pour congédiement sans cause juste et suffisante.

Pouvait-il procéder ainsi?

La réponse est essentiellement oui, puisque le TAT avait réservé sa compétence quant au remède à ordonner pour le congédiement sans cause juste et suffisante.

 

Voici le détail :

 

 

 Le fait que TAT-1 ait ordonné la réintégration de la plaignante dans son recours selon l’article 122 de la Loi et ait décidé, par la suite, qu’elle est impossible et accordé une IPE en vertu de l’article 124 de la Loi, équivaut-il à un vice de fond ?

[28]      Le Tribunal répond par la négative. La décision d’octroyer une IPE en vertu de l’article 128 (3) de la Loi après avoir jugé la réintégration non viable ne constitue ni un vice de fond ni une simple erreur, et ce, même si la réintégration avait été ordonnée précédemment en vertu de l’article 122 de la Loi.

[29]      En effet, lorsqu’il y a cumul de recours selon les articles 122 et 124 de la Loi comme dans notre cas, la jurisprudence a établi qu’il est illogique d’imposer la réintégration à un salarié lorsqu’il peut établir qu’elle n’est pas souhaitable, tout comme il est aussi déraisonnable de le priver d’une indemnité pour perte d’emploi seulement parce qu’il s’est prévalu d’un autre recours comme celui prévu à l’article 122 de la Loi.

[30]      C’est ce que décide la Commission des relations du travail dans l’affaire Rivard c. Corps canadien des commissionnaires (division de Montréal)[13] lorsqu’elle écrit :

[53] En résumé, la LNT offre différents recours au salarié. Étant une loi de protection, il serait pour le moins illogique de le forcer à être réintégré lorsqu’il peut établir que cela n’est pas possible ou souhaitable. Il serait tout aussi illogique de le priver d’un remède, l’indemnité pour perte d’emploi, parce qu’il s’est prévalu d’un recours, celui de l’article 122, que lui procure cette loi d’ordre public.

 

[54] Il serait sans doute souhaitable qu’un plaignant annonce à l’avance qu’il renoncera à la réintégration si sa plainte en vertu de l’article 122 est accueillie. Cependant, la Commission est d’avis que cela n’est pas obligatoireIl peut arriver des situations, notamment à l’audience, qui feront en sorte qu’on doive conclure à l’impossibilité de la réintégration. Ce n’est pas aller à l’encontre de l’esprit de la loi et de la jurisprudence de la Commission que d’attendre la décision sur le fond. Un congédiement illégal est nécessairement un congédiement sans cause juste et suffisante. Ce n’est pas parce qu’il a fallu, pour des raisons techniques, ordonner la réintégration en vertu de l’article 122 que cela prive le salarié d’en établir l’impossibilité ou le caractère non souhaitable par la suite et d’invoquer les remèdes de l’article 128 de la LNT.

[Notre soulignement]

[31]      Ici TAT-1 ordonne la réintégration de la plaignante dans la décision au fond, car il s’agit du remède applicable lorsqu’un recours pour pratique interdite est accueilli. Ce faisant, il met fin à la période de référence pour déterminer l’indemnité pour perte salariale. Il n’était pas obligatoire pour la plaignante de renoncer au bénéfice de l’ordonnance de réintégration avant que la question sur son impossibilité ne soit tranchée, puisque TAT-1 avait accueilli sa plainte selon l’article 124 de la Loi et réservé sa compétence pour le faire dans un deuxième temps.

[32]      L’ordonnance de réintégration émise en vertu de l’article 122 de la Loi ne privait donc pas la plaignante d’en établir l’impossibilité par la suite. Dans le recours selon l’article 124 de la Loi, TAT-1 disposait d’un pouvoir discrétionnaire pour évaluer, selon toutes les circonstances de l’affaire, si celle-ci était non viable et dans ce cas, pour octroyer une IPE, ce qu’il a fait[14].

[33]      C’est donc pour des raisons techniques que l’ordonnance de réintégration est rendue en vertu de l’article 122 de la Loi dans la décision au fond et non pas parce que TAT-1 la jugeait possible à ce moment, comme le plaide l’employeur.

 

 

Il est par contre relativement évident que d’ordonner une réintégration, mais ensuite de la juger impossible, puis d’accorder une indemnité pour perte salariale et une indemnité pour perte d’emploi peut être médusant.

 

 

[34]      Le Tribunal peut toutefois comprendre que l’employeur soit confus de constater qu’après avoir ordonné la réintégration, TAT-1 la juge ensuite impossible. Il plaide d’ailleurs qu’une IPE n’aurait pas dû être versée, puisqu’ayant d’abord été ordonnée, la réintégration était forcément jugée possible par TAT-1. Pour soutenir sa position, il dépose une décision[15] dans laquelle le Tribunal affirme qu’il ne peut pas attribuer une IPE, lorsque la réintégration est possible. Or, bien que cette affirmation soit juste, elle ne s’applique pas ici en raison du contexte particulier de notre dossier.

[35]      Cette confusion aurait pu être évitée si TAT-1, lors de la première audience, avait statué sur l’impossibilité de la réintégration en vertu de l’article 124 de la Loi. Mais pour les raisons explicitées précédemment, le cumul de recours distincts et la réserve de compétence sur la question de la réintégration décidée lors de l’audience au fond lui permettaient d’agir ainsi.