Par Me Sabrina Roberge, avec la collaboration de Mme Juliette Fucina
Dans une récente décision de la Cour supérieure, Brien c. Limoge, le Tribunal est saisi d’une demande en dommages-intérêts suite à la découverte de vices cachés par les demandeurs.
Dans cette affaire, peu de temps après avoir acheté la maison du défendeur, les demandeurs ont constaté une infiltration d’eau dans le sous-sol de leur nouvelle propriété. Bien que cette dernière ait été construite en 1947, elle avait fait l’objet de plusieurs rénovations réalisées par le défendeur préalablement à sa vente. C’est dans ces circonstances que les demandeurs ont intenté la présente demande. Au soutien de celle-ci, ils prétendent, notamment, que le défendeur est un vendeur professionnel puisqu’il a, dans le passé, détenu une entreprise de construction. Suivant cette prétention, la présomption de l’existence du vice au moment de la vente trouverait application.
En défense, le défendeur affirme qu’il est ingénieur de formation et que ses connaissances en matière de construction sont limitées. De surcroit, il mentionne que son rôle dans l’entreprise qu’il a mise sur pied était purement intermédiaire et qu’il n’était pas impliqué dans la construction d’immeuble, bien que ladite entreprise œuvrait dans le domaine du développement immobilier.
L’une des questions à laquelle fait face la Cour et celle qui fait l’objet du présent article est donc de déterminer si le défendeur est un vendeur professionnel. Après analyse, la Cour répondra par la négative à cette question.
Voyez plus amplement la façon dont le juge motive sa décision :
[30] L’article 1729 du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») invoque le statut de vendeur professionnel et prévoit les conséquences juridiques qui en découlent :
-
- En cas de vente par un vendeur professionnel, l’existence d’un vice au moment de la vente est présumée, lorsque le mauvais fonctionnement du bien ou sa détérioration survient prématurément par rapport à des biens identiques ou de même espèce; cette présomption est repoussée si le défaut est dû à une mauvaise utilisation du bien par l’acheteur.
[31] Bien que l’article 1729 C.c.Q. ne définisse pas le vendeur professionnel, la jurisprudence élabore ce dont il s’agit – un vendeur spécialisé qui a pour occupation habituelle la vente de biens. Comme l’énonce la Cour d’appel ans l’arrêt Dunn c. Lanoie:
Le Code civil ne définit pas le vendeur professionnel. Cependant, la jurisprudence assimile ce statut à celui de « vendeur spécialisé ». Les commentaires du ministre de la Justice au sujet de l’article 1729 C.c.Q. précisent que le vendeur professionnel est celui « qui a pour occupation habituelle la vente de biens ». La jurisprudence, sous le Code civil du Bas-Canada, parlait de « trafiquant en semblable matière » et de « vendeur fabriquant ». […].
Or, en l’espèce, je suis d’avis que l’appelant ne pouvait en aucune façon être qualifié de vendeur professionnel. Directeur d’école, l’élevage de chevaux ne constituait pour lui qu’un passe-temps. Ce n’est d’ailleurs pas lui qui s’en occupait, confiant ses animaux à un entraîneur de métier. Il n’en était qu’à sa deuxième expérience dans la vente d’un de ses poulains à l’encan.
[32] Plus récemment, cette Cour note que les tribunaux doivent se montrer prudents et adopter une approche restrictive à l’article 1729 C.c.Q. L’exercice de qualification tient compte du contexte et d’un nombre non limitatif de facteurs :
La qualification de vendeur professionnel entraîne de sérieuses conséquences et doit être abordée avec prudence. La jurisprudence enseigne d’ailleurs que cette notion doit recevoir une interprétation restrictive. Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit que le tribunal analyse en tenant compte globalement de l’ensemble du contexte. Plusieurs facteurs peuvent être considérés, dont notamment la profession du vendeur, son implication dans la fabrication du bien ou sa réparation, le profit réalisé ainsi que le nombre, la pérennité et la récurrence des ventes.
[33] Fort de ces enseignements, le Tribunal conclut qu’il ne peut qualifier Limoges de vendeur professionnel. Selon la preuve, ce dernier n’est ni un vendeur spécialisé ni une personne qui a pour occupation habituelle la vente de maisons. Que Limoges ait été le président de 3L de 2012 à 2016 ne fait pas automatiquement de lui quelqu’un qui maîtrise le domaine de la rénovation et de la revente d’immeubles résidentiels. En effet, la preuve révèle que :
- 3L n’a entrepris que deux projets immobiliers;
- Ces projets n’impliquaient pas la rénovation et la revente d’une maison, mais plutôt la construction et la vente de deux nouveaux immeubles résidentiels;
- Limoges agissait comme intermédiaire dans ce contexte et n’était pas impliqué directement dans la démolition ou la construction d’immeubles;
- Limoges exerçait sa profession d’ingénieur chez Pratt & Whitney de 2012 à 2016, ainsi qu’avant et après cette période;
- Son seul projet de rénovation et revente visait la Maison en litige;
- Limoges a subi une perte dans le cadre de ce projet de rénovation et revente; et
- 3L n’a pas participé à l’achat, la rénovation ou la revente de la Maison.
[34] Le Tribunal accepte que Limoges ait plus de connaissances en matière immobilière que Brien et Laurin. Toutefois, cette seule constatation ne lui permet pas de qualifier Limoges de vendeur professionnel pour autant. Une analyse prudente et contextuelle indique que la vente d’immeubles n’a jamais été son occupation principale ou une source importante de revenus. À tout le plus, la vente d’immeubles résidentiels était pour Limoges un boulot accessoire, occasionnel et temporaire, soldé par un échec. En conséquence, le Tribunal estime que l’article 1729 C.c.Q. ne trouve pas application.