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Un PDG reçoit une indemnité de départ de 21 mois

7 novembre 2024

Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration de Julia Leclair

Dans l’affaire Langlais c. Sennheiser (Canada), la Cour supérieure a examiné la validité d’une clause de terminaison d’emploi prévoyant un préavis de 12 mois par année de service, totalisant 21 ans de salaire, soit près de 10 millions de dollars. L’enjeu principal consistait à déterminer si cette clause reflétait l’intention véritable des parties ou relevait d’une erreur.

En mars 1993, Jean Langlais a été embauché comme directeur général par Sennheiser (Canada) inc. Son contrat a été renouvelé plusieurs fois, avec des augmentations de responsabilités et de rémunération, jusqu’à ce qu’il devienne président-directeur général (PDG). En 2010, un contrat de travail de cinq ans incluant une clause de préavis fut signé, stipulant que, en cas de résiliation anticipée, M. Langlais recevrait 12 mois de salaire par année de service.

À l’été 2013, les nouveaux co-présidents de Sennheiser ont mis en place une restructuration supprimant tous les postes de directeurs généraux et de présidents de territoires, dont celui de M. Langlais. Cette nouvelle structure devait entrer en vigueur le 1er janvier 2015. Dans ce cadre, M. Langlais a été réaffecté à un poste inférieur, sans description précise, ligne hiérarchique définie ni fourchette salariale. Il a alors ressenti une perte d’autorité et de confiance de la part de ses employés.

En septembre 2014, lors d’une réunion du conseil d’administration, M. Langlais a été placé en suspension administrative avec salaire (garden leave) en raison de sa démotivation et de ses absences occasionnelles. On l’a ensuite informé que son contrat ne serait pas renouvelé à son terme, et on lui a remis une lettre confirmant sa suspension, que M. Langlais a refusé de signer. L’employeur lui a interdit de se présenter au travail et de communiquer avec ses collègues. En décembre 2014, Sennheiser a mis fin à son emploi.

Langlais soutenait qu’il avait subi un congédiement déguisé en septembre 2014 en raison du garden leave imposé et réclamait 21 ans de préavis, basé sur un salaire moyen de 526 000 $ par an. Sennheiser a concédé que la fin d’emploi avait été faite sans motif sérieux, reconnaissant ainsi le droit de M. Langlais à un délai de congé raisonnable. Cependant, Sennheiser a contesté la validité de la clause de préavis, alléguant une erreur de rédaction.

La Cour a statué que la clause de garden leave était valide en droit québécois et ne constituait pas un congédiement déguisé. Après analyse de l’intention réelle des parties, elle a conclu que la clause de terminaison prévoyait un préavis d’un mois par année de service, soit 21 mois, et non 21 ans comme le prétendait M. Langlais. Bien que Langlais ait obtenu gain de cause partiel, la Cour a ordonné le paiement de ses frais de justice. La cause a fait l’objet d’un appel qui n’a pas modifié substantiellement le jugement de première instance.

 

Voyez comment le juge de la Cour supérieure a justifié sa décision :

 

 

Le garden leave et la fin d’emploi :

[47] Ainsi, en ayant recours à cette clause (alors qu’il n’y a rien qui indique, ni dans la preuve ni dans les plaidoiries des parties, que l’employeur aurait fait défaut de l’appliquer correctement), il n’existe manifestement pas de violation ni même de modification du contrat d’emploi. Dans un tel cas, alors que l’entente prévoit la possibilité d’une suspension de la prestation de travail, les enseignements de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Farber sont limpides:

[25] Par contre, l’employeur peut faire toutes les modifications à la situation de son employé qui lui sont permises par le contrat, notamment dans le cadre de son pouvoir de direction. D’ailleurs, ces modifications à la situation de l’employé ne constitueront pas des modifications du contrat de travail, mais bien des applications de ce dernier.

(…)

[48] En conséquence, n’ayant pas modifié, mais uniquement appliqué le contrat d’emploi, Sennheiser n’a pas procédé à un congédiement déguisé de Langlais. Le lien d’emploi subsiste en dépit de la décision de l’employeur de mettre en œuvre cette clause de garden leave, décision laquelle, bien qu’unilatérale, ne constitue pas une modification substantielle de la relation contractuelle.

(…)

[56] Or, en l’instance, certains témoignages démontrent qu’à la suite de l’annonce de juin 2014 concernant la réorganisation majeure de l’entreprise, Langlais était moins présent au travail et paraissait démotivé. Cette preuve, quoique ténue, permet de conclure que la suspension de la prestation de travail était dans l’intérêt de l’entreprise. Il ne revient pas au Tribunal mais bien à l’employeur de décider ce qui est nécessaire ou utile à son organisation.

[57] Cette conclusion se trouve par ailleurs appuyée par le constat fait par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Asphalte Desjardins inc., alors qu’elle rappelle, de façon unanime, la validité d’un tel aménagement dans le contexte d’une fin d’emploi imposée de façon unilatérale :

[44] Bien sûr, on ne peut « imposer » à l’employeur le délai de congé décidé unilatéralement par le salarié. Un employeur peut refuser qu’un salarié se présente sur les lieux de travail pour la durée du délai, mais il doit néanmoins le rémunérer pour cette période, dans la mesure où le délai de congé fourni par le salarié est raisonnable. L’employeur peut également choisir de mettre fin au contrat moyennant un délai de congé raisonnable ou une indemnité correspondante, le tout conformément à l’art. 2091 C.c.Q. et en vertu des art. 82 et 83 de la Loi sur les normes du travail.

[58] En somme, la mise en suspension administrative, le garden leave, est valide en droit civil et ne constitue pas ici une fin d’emploi déguisée puisqu’elle est prévue au contrat de travail de Langlais. Il faut donc conclure que ce dernier est congédié seulement le 5 janvier 2015, à la date fixée par l’employeur dans ses communications officielles.

Le délai de congé :

[61] Tout d’abord, il y a lieu de constater que le texte en question est équivoque. Il est difficile, sinon impossible, de concilier un délai de congé de 12 mois par année de service avec le calcul de la compensation (prévue au par. 3 du contrat) laquelle doit être calculée, selon le paragraphe sou étude, en fonction d’une période de délai de congé de 12 mois (« have accrued on a pro rata temporis basis during the twelve month notice period. »). Qu’on tente de lire ce paragraphe de façon isolée ou dans le contexte, il faut constater qu’il existe une contradiction dans son texte même : soit le délai de congé est de 12 mois par année de service, soit il est de 12 mois au total, puisque c’est de cette façon qu’on doit calculer une partie de la rétribution.

[62] Or, en droit civil québécois, même en présence d’un texte clair, il faut faire prévaloir l’intention réelle des parties lorsque celle-ci est en conflit avec le texte du contrat. En d’autres mots, il y a lieu de donner préséance à la volonté réelle des parties lorsque celle-ci ne correspond pas à leur volonté déclarée. Dans l’arrêt Sobeys Québec inc. c. Coopérative des consommateurs de Ste-Foy, la juge Bich résume l’état du droit à ce sujet : (…).

[63] Ainsi, que le paragraphe sous étude soit qualifié d’équivoque ou de clair – puisque dans ce dernier cas on arriverait à un résultat absurde ou illogique – le Tribunal doit se mettre à la recherche de l’intention commune des parties. En effet, même si on devait considérer que le texte de l’article 12.2.(a) est limpide, alors que la question même de savoir si un texte est clair ou non, n’est pas toujours évidente35, un exercice d’interprétation s’imposerait tout de même en l’espèce. Une disposition contractuelle, même sans aucune ambiguïté apparente, ne doit pas entrainer un résultat irrationnel. En somme, c’est alors l’absurdité même du résultat qui crée une incertitude rendant nécessaire d’interpréter. Or, en l’espèce, si on devait considérer que la clause établit un délai de congé de 21 ans, on en arrive a priori à un résultat hors norme et qui n’a guère de sens.

(…)

[67] De toute évidence, un délai de congé de 21 ans serait en porte-à-faux avec ces enseignements car il rendrait, à toutes fins pratiques, impossible le congédiement sans motif sérieux de Langlais par Sennheiser. Voilà pourquoi, en tenant compte de la nature du contrat et des usages en la matière, il n’est pas envisageable de retenir la position de Langlais comme représentant la commune intention des parties. L’environnement général dans lequel cette entente a été conclue – soit le droit du travail québécois – ne s’y prête absolument pas.

[68] De plus, le Tribunal note que tant les contrats de travail antérieurs, que la première version de la convention sous étude prévoyaient un délai de congé de 12 mois. Il s’agit d’un élément important : pourquoi les parties seraient soudainement passées d’un délai de congé de 12 mois (qui a été en vigueur pendant près de 15 années) à un délai de congé de 21 ans? Pourtant ce contrat possède un terme et prévoit une durée fixe de cinq ans. Ainsi, le contexte particulier et immédiat de la conclusion de cet engagement ne permet pas non plus d’avaliser l’interprétation prônée par Langlais.

(…)

[73] Il est évident que Langlais souhaitait se protéger contre un congédiement hâtif mais il est impensable que cela puisse vouloir dire un délai de congé dépassant la durée de son contrat, lequel était de cinq ans. En rétrospective, et devant l’extraordinairement généreuse interprétation de la clause 12.2.(a) du contrat de travail qui semble lui donner 21 ans de délai de congé, Langlais ajuste sa version de faits à l’instruction et affirme que l’intention des parties était bel et bien de prévoir un délai de congé de 12 mois par année de service. Le Tribunal ne peut pas croire ce témoignage. Pour les motifs exprimés ci-dessus, il ne peut s’agir de l’entente des parties. Le seul argument avancé par Langlais, voulant que l’énormité du préavis à payer en cas de congédiement sans cause, crée un effet paralysant et dissuasif, mène à la conclusion absurde que les parties auraient voulu mettre en place une clause qui ne pourrait jamais en fait être exercée. Or, cela est incompatible avec le principe voulant que l’on doive favoriser une interprétation qui donne un effet utile à une disposition contractuelle plutôt que celle qui ne lui en confère aucun.

[74] De surcroît, il faut noter que le contrat tel quel, soit l’entente entre les parties, est survenu avant la finalisation et la signature du document qui le constate. La réunion entre Langlais et Whiting sur la terrasse d’un hôtel en Allemagne ne vise qu’à formaliser cette entente, laquelle représente l’issue de quelques mois de communications et de négociation et non pas le moment où on assiste enfin à l’échange de consentements. L’exercice d’interprétation vise justement à découvrir cette intention commune, l’objet de ce sur quoi portait l’accord exprimé par les deux parties avant de signer le texte couché sur papier. C’est le consentement des parties qui crée le contrat et ce dernier ne doit pas être confondu avec l’écrit qui le constate à des fins probatoires.

[75] En somme, l’interprétation du paragraphe 12.2.(a) entraine la conclusion que le délai de congé convenu est d’un mois par année de service, soit de 21 mois au moment du congédiement, tel que l’employeur l’a d’ailleurs appliqué.