Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration de Julia Leclair
Dans l’affaire Carrier c. Chaussures Régence inc., un employé comptant huit ans de service a obtenu un délai de congé de 12 mois, dont les sommes reçues à titre de prestations d’invalidité ont dû être déduites.
En juillet 2005, M. André Carrier a commencé son emploi chez Chaussures Régence à titre de directeur technique. À ses débuts, son travail était principalement axé sur la production à Acton, mais il séjournait aussi parfois en Asie pour repérer des sous-traitants, l’entreprise souhaitant y déplacer sa production. En 2012, Chaussures Régence a décidé de transférer une partie de sa production au Cambodge.
Dans le cadre de l’exploitation de cette nouvelle usine, le PDG, Christian Bergeron, a écrit à M. Carrier pour redéfinir ses fonctions. Désormais, son poste impliquait qu’il soit basé en Chine, et il n’occupait plus le titre de vice-président de la production. Cette rétrogradation était justifiée par l’argument à l’effet que M. Carrier n’était pas la personne appropriée pour assumer ces nouvelles fonctions en raison de sa difficulté à communiquer efficacement.
En juillet 2013, M. Carrier s’est réveillé avec une paralysie du côté gauche de son visage, le forçant à un arrêt de travail d’un mois pour évaluer son état de santé. En août 2013, il a été convoqué au bureau de Chaussures Régence, à Québec, où il apprend la fin de son emploi. M. Bergeron justifie ce congédiement par la réorganisation des fonctions et de la production en Asie. Cependant, M. Carrier considère que son congédiement est fondé sur un motif discriminatoire, soit son apparence physique, qui, en raison de sa paralysie de Bell, est altérée. Chaussures Régence a versé à M. Carrier son plein salaire jusqu’au début du paiement des prestations d’assurance-invalidité.
Le Tribunal a conclu que M. Carrier n’avait pas prouvé que son apparence physique était la cause de son congédiement.
Toutefois, appliquant les critères usuels en la matière, le tribunal lui a accordé un délai de congé de 12 mois basé sur son salaire annuel de 111 600 $.
Les prestations d’assurance-invalidité reçues ont toutefois dû être déduites au complet des sommes à verser à titre de délai de congé, puisque les primes d’assurance ont été payées par l’employeur.
Voyez comment le juge a justifié sa décision :
Le congédiement est-il basé sur un motif discriminatoire, un handicap ?
[71] Malgré le lien que tente de faire André Carrier entre la concomitance de la fin de son emploi et son aspect physique résultant de sa paralysie de Bell, la preuve ne permet pas d’en venir à une telle conclusion.
(…)
[74] Toutefois, encore faut-il démontrer, selon une preuve probante, que ce handicap est à la source, la cause, le motif du congédiement.
[75] Or ici, tel n’est pas le cas.
[76] Il y a concomitance de certains évènements, soit la paralysie de Bell d’André Carrier et la réorganisation ou la nouvelle planification de Chaussures Régence en Asie, sans plus.
[77] La preuve probante démontre plutôt que l’ouverture d’une usine au Cambodge et le déplacement de la production dans ce pays, jumelés à la relation entre Alexandre Bergeron, Jenny Long et André Carrier, qui ne répondait plus aux besoins de Chaussures Régence dans le nouveau contexte de production en Asie, ont provoqué la terminaison de l’emploi d’André Carrier.
(…)
[81] Il ne s’agit pas d’un congédiement pour un motif discriminatoire.
[82] Conséquemment, il n’y a pas lieu de discuter de dommages et intérêts en regard du comportement de Christian Bergeron ni de dommages et intérêts punitifs.
(…)
La durée du délai de congé :
[84] Dans la présente affaire, le Tribunal retient les faits suivants :
- André Carrier est âgé de 57 ans;
- Il est scolarisé (diplôme universitaire en génie électrique);
- Il a été à l’emploi de Chaussures Régence pendant 8 ans;
- Il a occupé des fonctions importantes en regard du contrôle de qualité et de la résolution de problèmes techniques;
- Il était un employé important dans l’organigramme de Chaussures Régence pour sa production en Asie;
- Le milieu de la chaussure à Québec est un milieu difficile, toutes les entreprises d’envergure ou offrant des défis de nature comparable ont fermé;
- André Carrier a un dossier d’employé sans réprimandes;
- Il y a absence de reproches et de cause au congédiement;
- André Carrier aspirait à terminer sa carrière chez Chaussures Régence à l’âge de 65 ans;
- Le congédiement est concomitant à un épisode de santé délicat pour André Carrier;
- L’employeur a assumé et payé le délai de carence en salaire avant l’application de l’assurance-invalidité;
- Chaussures Régence a fait des offres pour payer un délai de congé, insuffisantes selon la prétention d’André Carrier;
- André Carrier a fait de nombreuses démarches pour se retrouver un nouvel emploi, mais sans véritable succès.
(…)
[86] S’inspirant des jugements cités en référence et prenant appui sur ceux-ci, le Tribunal est d’avis, dans le cas en l’espèce, qu’André Carrier, âgé de 57 ans au moment de son congédiement, employé depuis 8 ans avec des fonctions d’importance dans l’entreprise à l’étranger, et vu les difficultés à retrouver un poste similaire ou comparable dans le domaine de la chaussure, a droit à un délai de congé de 12 mois.
La déduction ou non des prestations d’assurance-invalidité :
[101] La preuve n’est pas précise sur les détails, mais permet de comprendre que l’employeur paie à André Carrier son plein salaire, du premier jour de son congé maladie jusqu’à l’expiration du délai de carence du régime d’assurance invalidité, alors que l’assureur, Financière Manuvie verse une prestation mensuelle de 3500 $ par mois, non imposable.
[102] André Carrier soutient que, s’agissant de prestations non imposables, elles ne doivent pas être déduites de l’indemnité versée à titre de délai de congé.
[103] Chaussures Régence soutient que c’est elle, par le biais d’une mécanique fiscale, qui, en réalité, fait le déboursé pour acquitter la prime et qu’en conséquence, les prestations doivent être déduites de l’indemnité versée.
[104] Le Tribunal partage cette opinion.
[105] La preuve montre bien que c’est l’employeur qui transmet un chèque à l’assureur en paiement des primes et que la somme est prélevée sur la paie d’André Carrier, mais compensée par un montant équivalent versé par l’employeur à celui-ci.
[106] Ainsi, ce n’est pas André Carrier qui assume le coût de la prime d’assurance puisque le montant prélevé en paiement de la prime est entièrement compensé par l’employeur sous forme de boni imposable.
(…)
[109] De même, notre collègue, la juge France Bergeron, s’appuyant sur l’arrêt Sylvester, écrit dans Massicotte c. Edgar inc. :
[61] Des prestations reçues après le 6 novembre 2011, soit 11 843 $ (19 359 – 7 516), 40 % provient du régime d’assurance dont les primes ont été défrayées par l’employeur. Donc, 4 737 $ (40 % de 11 843), sera déduit de 50 000 $. Il n’y a pas lieu de déduire les prestations qui proviennent des primes payées par Massicotte.
[62] Massicotte ayant reçu une indemnité pendant qu’elle était malade, en vertu du régime d’assurance invalidité payée en partie par l’employeur, équivalant à un remplacement de salaire, il serait abusif de ne pas en tenir compte.
[110] Ainsi, le Tribunal est d’avis qu’il y a lieu de déduire des sommes à être versées à titre d’indemnité pour délai de congé toute somme perçue par André Carrier au cours de ces 12 mois à titre de prestations d’invalidité.