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Un VP opérations reçoit 13 mois d’indemnité de départ pour 5 ans d’ancienneté

19 septembre 2022

Par Me Paul-Matthieu Grondin

 

Dans la cause de la Cour supérieure Patrao c. Tecsys inc., un vice-président opérations comptant 5 ans d’ancienneté s’est fait accorder 13 mois d’indemnité de départ.

Ledit vice-président s’est fait congédier sans motif, dans ce qui semble être un 5 ans quasi sans faute au service de l’entreprise, celui-ci s’étant notamment distingué quant à l’augmentation du chiffre d’affaires. Ici, nous sommes dans les eaux de l’interprétation de l’article 2091 du Code civil, dont nous traitons dans à peu près chacun des billets de ce blogue. L’indemnité de départ est essentiellement une appréciation de facteurs subjectifs, relativement bien établis par la jurisprudence.

Ici, les faits intéressants ont trait au manque de transparence (et de raisonnabilité) des « motifs » donnés par la compagnie lors du congédiement, soit le sempiternel manque de « fit » culturel. Le juge Lacoste discute ainsi du présent cas, pour en arriver à 13 mois d’indemnité de départ :

 

 

[39]        Le Tribunal estime qu’il faut ajouter aux facteurs énoncés par la jurisprudence, l’absence d’une lettre de recommandation et tout autre comportement de l’employeur ou du salarié susceptible de prolonger ou raccourcir la période nécessaire pour le salarié pour se trouver un nouvel emploi.

[40]        En l’espèce, le Tribunal estime que les facteurs suivants sont les plus déterminants :

40.1.   L’âge de Patrao;

40.2.   Son ancienneté;

40.3.   L’importance et la nature de son poste;

40.4.   Sa rémunération globale;

40.5.   L’état du marché du travail;

40.6.   L’absence d’une lettre de recommandation;

40.7.   Le manque de transparence quant aux motifs du congédiement.

[41]        Lors de son congédiement, Patrao a 49 ans. Un tel facteur n’est pas toujours d’une grande importance, mais il l’est lorsqu’en le combinant aux autres, il rend plus difficile de se trouver un emploi. C’est le cas en l’espèce. Ce facteur fait pencher la balance vers un préavis plus long.

[42]        Au moment de son congédiement, Patrao a 3,66% années d’ancienneté. Une si courte période fait pencher la balance vers un préavis plus court.

[43]        L’importance et la nature du poste de Patrao est le facteur le plus important. Il s’agit d’un poste très élevé dans la hiérarchie chez Tecsys, mais il le serait tout autant au sein d’une autre entreprise.

[44]        Patrao touche une rémunération globale d’environ 600 000$[18].

[45]        Le marché du travail dans la région montréalaise, où habite Patrao et où se trouve son bureau chez Tecsys, offre très peu d’emplois comparables au niveau de l’importance, des responsabilités et des revenus. Il est clairement improbable au moment de son congédiement qu’il puisse en trouver un autre rapidement.  De fait, il met environ 20 mois à trouver un emploi qui ne lui rapporte qu’un revenu bien inférieur, et ce malgré des efforts de recherche d’emploi importants et soutenus.  En se plaçant au 22 mars 2022, il est évident que Patrao ne pourra se trouver un emploi raisonnablement comparable rapidement.

[46]        Tecsys a pour politique générale de ne pas remettre de lettre de recommandation lors du départ d’un de ses salariés. Elle fait exception à cette politique dans le cas de cadres de haut niveau parce que de telles lettres sont nécessaires pour qu’ils puissent se trouver un emploi comparable. Tecsys elle-même considère de telles lettres lorsqu’elle cherche à recruter du personnel de ce niveau. De l’aveu même de Peter Brereton, Tecsys était prête à remettre une lettre de recommandation à Patrao en échange d’une quittance finale pour les sommes qu’elle lui a versées. C’est uniquement parce que Patrao refuse de signer une telle quittance et de renoncer à un véritable préavis raisonnable que l’on refuse de lui remettre une lettre de recommandation.

[47]        Un employeur n’est généralement pas obligé de fournir une lettre de recommandation, mais il arrive que le défaut de le faire constitue une faute[19]. En l’espèce, le refus de Tecsys est motivé par sa mauvaise foi et il rend plus difficiles les démarches de Patrao pour se trouver un emploi. Cette faute impose de prolonger le délai de préavis pour refléter ses conséquences[20].

[48]        Finalement, Tecsys ne dévoile jamais à Patrao les motifs de son congédiement sinon que pour dire qu’il s’agit d’un problème de « cultural fit ». Malgré les questions de Patrao, Tecsys refuse de donner des détails ou des explications. Or, « cultural fit » ne veut réellement rien dire, ou en tout ne veut pas dire grand-chose. 

 

(…)

 

[54]        Le Tribunal en retient que Tecsys manque à son devoir de transparence et de bonne foi envers Patrao et que ce manquement rend plus difficiles ses démarches de recherche d’emploi, car il se trouve dans l’impossibilité d’expliquer à des employeurs potentiels pourquoi il a été congédié alors qu’il dit avoir si bien performé. Ce facteur fait pencher la balance vers un plus long préavis.

[55]        La jurisprudence présente divers cas où les tribunaux ont retenu des délais de préavis variables. Cette variété et le spectre des durées retenues par les tribunaux reflètent l’impossibilité de faire un calcul précis, scientifique ou actuariel parce que chaque affaire est unique et dépend de la preuve présentée, notamment quant à l’état du marché du travail applicable au salarié. Une revue de la jurisprudence ne peut avoir qu’un effet indicatif, mais ne peut en aucun cas avoir un effet déterminant. En l’espèce, les décisions soumises par Tecsys se distinguent tellement des faits de la présente affaire qu’elles ne sont pas utiles.

[56]         Le Tribunal estime que Patrao a droit, au moment de son congédiement, à un préavis de 13 mois[24]. Comme il a déjà reçu une indemnité de préavis de 3,66 mois, il a donc le droit de recevoir l’équivalent de 9,34 mois. Les parties admettant que le calcul de cette indemnité doit se faire sur la base de 51 000$ par mois.  Tecsys ademt que Patrao a mitigé ses dommages. Le Tribunal condamnera Tecsys à payer à Patrao la somme de 476 340 $ à ce titre.