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Une action en passation de titre intentée par le promettant-vendeur, une situation inhabituelle

22 janvier 2024

Par Me Sabrina Roberge, avec la collaboration de Mariane Judge

 

 

 

Dans une décision de la Cour d’appel, De Chanteloup c. Saint-Laurent, le promettant-vendeur intente une action en passation de titre.

 

À la suite de la signature d’une promesse d’achat, le promettant-acheteur réalise qu’il n’obtiendra pas le financement nécessaire de sa banque. Il décide donc de se désister de son engagement, sans effectuer d’autres recherches de financement.

 

Le promettant-vendeur intente donc une action en passation de titre afin de procéder à la vente de la maison.

 

Alors que le juge de première instance accueille la demande, en estimant remplies toutes les conditions et formalités requises pour l’action en passation de titre, la Cour d’appel ne partage pas cet avis.

 

Les conditions à la passation de titre par le vendeur présentent quelques distinctions par rapport à l’action intentée par l’acheteur, notamment la présentation de preuve de propriété et un titre clair, donc sans charge hypothécaire et libre de toute autre charge (à moins d’avis contraire dans la promesse d’achat). La passation de titre doit également être inconditionnelle, ce qui est incompatible avec la majorité des actions intentées par le vendeur, puisque l’acheteur qui se retire d’une promesse d’achat a rarement consigné l’argent préalablement.

 

En l’espèce, les critères pour l’action en passation de titre n’ont pas été remplis puisque le promettant-vendeur n’a pas fourni un titre clair de propriété et la présente vente était de nature conditionnelle. Un recours pour dommages et intérêts aurait donc été plus opportun dans les circonstances.

 

Voyez la manière dont le juge motive sa décision :

 

 

 

[65] Dans Lainé c. Bérubé, le juge Nuss, placé dans une situation analogue où le promettant-vendeur recherche la passation de titre, fait état de la jurisprudence à ce sujet :

[51] Lorsqu’un vendeur institue l’action en passation de titre, il doit fournir ou déposer ses titres à la propriété pour prouver qu’il est bel et bien propriétaire du bien. Le tribunal doit avoir devant lui la preuve que la propriété qui est vendue est effectivement celle du vendeur. Sans quoi on risque que le jugement, qui équivaudra à la signature de l’acheteur, transfère un bien qui n’est pas la propriété du vendeur et qu’il condamne l’acheteur au paiement du prix d’un bien qui n’appartient pas au vendeur ou dont le titre n’est pas clair. Une jurisprudence constante fait référence à cette exigence.

[66] À propos de l’offre d’un titre clair par le promettant-vendeur, le juge Nuss cite, avec approbation, l’extrait suivant de l’auteure Thérèse Rousseau-Houle, juge à la retraite de la Cour :

Si l’action est intentée par le promettant-vendeur, ce dernier doit:

  • préparer un contrat de vente, le signer devant notaire;
  • offrir ses titres et l’accomplissement de ses propres obligations;
  • fournir un certificat de recherches s’il s’est engagé à le faire;
  • sommer l’acheteur de signer le contrat et de payer le prix;
  • renouveler ses offres et faire les consignations nécessaires.

Le défaut d’accomplir ces obligations ne constitue pas une simple irrégularité, il en résulte un vice qui entraîne la nullité de la procédure. L’action en passation de titres est alors irrecevable, car elle se heurte à l’exception non adimpleti contractus.

[…]

[95] D’une part, le jugement en passation de titre ne peut être conditionnel au paiement. Il doit, par définition, être susceptible d’exécution dès son prononcé. Ainsi, si le prix était déjà, d’une façon ou d’une autre, consigné, alors là, le jugement pourrait être rendu puisque le vendeur pourrait, dès son prononcé, donner effet au jugement obtenu en l’inscrivant au registre foncier pour valoir titre, et ce, sans le concours de l’acheteur. […] Dans ces circonstances, l’exécution forcée, avant de pouvoir songer à passer titre, est incompatible avec la nature même du jugement à prononcer.

[…]

[102] Il se trouve en pratique que le recours du vendeur en passation de titre est rarement opportun, voire rarement possible, en matière immobilière.[…] C’est davantage le prix qui compte. En ce sens, le recours en dommages s’avérera généralement plus propice.

[…]

[104] Les intimés ont choisi d’obliger l’acheteur à passer titre, sans fournir en temps utile aux appelants de titre clair, d’autant que le jugement recherché était inéluctablement conditionnel. Le jugement entrepris ne pallie pas ces carences qui, en l’espèce, ne pouvaient de toute façon être comblées.

[105] Le défaut de satisfaire aux conditions essentielles à la passation de titre demandée par les intimés aurait dû emporter le rejet de leur action.