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Une adjointe aux finances, son congédiement et la théorie de « la goutte qui fait déborder le vase »

15 février 2023

 

Par Me Paul-Matthieu Grondin

 

Dans la cause récente du Tribunal administratif du travail Bissonnette c. Plastiques G Plus, une adjointe aux finances à l’emploi d’une compagnie de taille moyenne depuis 7 ans est remerciée de ses services et elle dépose une plainte en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail, le fameux congédiement sans cause juste et suffisante, dont le remède est généralement la réintégration.

Cette cause est particulière parce que les manquements reprochés à l’adjointe surviennent peu après son retour de congé de maternité, ce qui fait généralement sourciller les décideurs. Ainsi, à ce retour, une jalousie semble s’installer entre l’adjointe et sa remplaçante, et l’adjointe lui manque de respect à quelques occasions, étant particulièrement critique de son travail. L’employeur lui remet quelques avis disciplinaires écrits, puis essaie de faire du renforcement positif, et d’autres incidents se produisent.

Au final, un événement « culminant »: l’adjointe rédige un courriel à la directrice générale, blâmant plusieurs personnes pour leur manque d’éthique, ce qui rompt le lien de confiance – l’employeur la congédie.

Nous sommes ici en présence d’une gradation des sanctions imparfaite, et qui s’échelonne dans le temps. La juge conclut au congédiement fait pour cause, pour les motifs suivants :

 

 

[40]      Quant à la théorie de l’incident culminant, la gravité du geste ne peut justifier à elle seule le congédiement, toutefois, le dossier disciplinaire antérieur peut constituer une circonstance aggravante. Il s’agirait en quelque sorte de la goutte qui fait déborder le vase.

[41]      Qu’en est-il?

[42]      La plaignante a été avisée formellement, à quelques reprises, de ses problèmes d’attitude au sujet de sa relation avec sa remplaçante. Elle a même fait l’objet d’une suspension.

[43]      Certes, il peut s’avérer maladroit de suspendre une employée quelques heures suivant son retour d’un congé de maternité. Or, dans le présent cas, puisqu’elle avait déjà adopté une attitude particulièrement méfiante envers sa remplaçante, l’employeur était en droit d’intervenir afin de faire comprendre rapidement à la plaignante les comportements attendus.

[44]      À plus d’une reprise, les attentes lui sont signifiées quant à la collaboration attendue envers sa remplaçante et les autres collègues. Les nouvelles responsabilités lui sont communiquées et clarifiées. La directrice générale tente de mettre en place des mesures afin de faciliter la relation avec la remplaçante, notamment en demandant d’être en copie de tous les courriels. Bien que l’efficacité d’une telle mesure puisse être remise en doute, on constate que l’employeur tente, tant bien que mal, de récupérer la situation.

[45]      La plaignante n’est l’objet que d’une suspension mineure avant d’être congédiée. L’employeur aurait-il dû lui imposer une sanction plus sévère avant d’en arriver à la mesure ultime? La réponse est non. Les nombreuses interventions l’enjoignant à changer d’attitude étaient suffisantes pour amener la plaignante à réaliser qu’il était impératif de corriger son comportement.

[46]      Elle est avisée, à plus d’une occasion, que son défaut de changer son comportement pouvait mener à un congédiement.

[47]      L’absence de toute amélioration suivant les avis disciplinaires et son défaut de démontrer toute volonté de collaborer est une cause juste et suffisante de congédiement. Des mesures disciplinaires ultérieures n’auraient pas mené à amender sa conduite et à la rendre conforme aux attentes de l’employeur.

[48]      Considérant la petite taille de l’entreprise et le fait que la plaignante occupait un poste unique, l’employeur a suivi une progression des sanctions suffisante pour permettre à la plaignante de modifier son comportement.

[49]      Elle n’arrivait pas à s’adapter à son nouveau milieu de travail et son attitude problématique envers ses collègues constitue une cause juste et suffisante pour congédier la plaignante.

[50]      Les propos irrespectueux tenus à l’endroit de la directrice générale ont précipité un processus déjà entamé.

[51]      Les impacts importants du geste commis par la plaignante justifient de passer outre à certaines étapes de la gradation des sanctions.