Par Me Paul-Matthieu Grondin
Dans la décision de la Cour du Québec Bourgault c. Groupe Robert Inc., une chargée de projet en communications se fait remercier de ses services en raison d’une restructuration.
La dame, d’un certain âge, cumulait une vaste expérience dans le domaine, mais avait appliqué chez son nouvel employeur (et donc, n’avait pas été débauchée, ce qui milite habituellement en faveur d’un délai de congé plus long). Dans cette décision exhaustive en matière de recherche jurisprudentielle, le juge devait trancher entre la demande de l’employée, soit 7 mois d’indemnité, et la proposition de son ex-employeur, soit deux semaines.
En outre, la décision comporte un élément important, soit l’attribution d’un boni en matière de délai de congé. Nous y reviendrons dans un autre billet.
Voyez ici le cœur de la décision :
[60] Le Tribunal estime qu’à la lumière des critères énoncés à l’article 2091 C.c.Q. et ceux élaborés par la jurisprudence, un délai de congé de 11 semaines est raisonnable. Voici pourquoi.
[61] Les deux mois de service chez Groupe Robert ne milite pas en faveur d’un délai de congé de sept mois. Bien qu’il n’y a pas de corrélation directe entre la durée de service et le délai de congé raisonnable, il n’en demeure pas moins que le plafond pour un délai de congé est établi par la Cour d’appel à 24 mois, et ce, dans des circonstances exceptionnelles où les employés avaient plus de 30 ans de durée de service.
[62] Mme Bourgault soumet plusieurs décisions où, malgré la courte période de service de l’employé, les tribunaux ont donné un délai de congé supérieur à la durée de service.
[63] Par exemple, elle s’appuie sur l’affaire Transforce inc. c. Baillargeon[19], où la Cour d’appel maintient une décision par laquelle elle accorde un délai de congé de 11 mois à un salarié qui avait été à l’emploi de l’employeur pour seulement 38 jours.
[64] Or, les faits de cette affaire se distinguent du cas à l’étude. Notamment, le salarié dans Transforce occupait un poste de cadre supérieur (vice-président exécutif), recevait un salaire de 325 000 $ plus des avantages faisant en sorte de porter son salaire annuel à plus de 679 000 $. Il nécessita 13 mois pour se trouver un nouvel emploi comparable.
[65] On ne peut comparer l’importance du poste occupé par le salarié de Transforce (cadre supérieur) avec celui occupé par Mme Bourgault au sein de Groupe Robert où elle n’occupe ni un poste cadre ni celui de gestionnaire. De plus, la durée prise par le salarié dans Transforce à trouver un emploi comparable est de beaucoup supérieur au temps nécessaire pour Mme Bourgault de se trouver un emploi comparable.
[66] Bref, l’affaire Transforce n’a pas la portée que lui donne Mme Bourgault.
[67] Quant aux circonstances ayant mené à son engagement au sein de Groupe Robert, le Tribunal rappelle que Mme Bourgault n’était pas satisfaite de ses conditions de travailleur chez son employeur précédent, qu’elle souhaitait se rapprocher de son lieu de résidence et qu’elle n’a pas été débauchée par Groupe Robert puisque c’est elle-même qui fait toutes les démarches pour solliciter un emploi chez cet employeur. Enfin, en joignant Groupe Robert elle a nettement amélioré son sort. Ce critère milite donc en faveur d’un délai-congé plus court que long.
[68] Mme Bourgault s’appuie aussi sur l’affaire Duffield c. Alubec Industries inc. où la Cour supérieure accorde un délai de congé de 24 semaines à un employé qui est congédié après seulement 11 jours de service. Les faits dans cette affaire sont différents du cas à l’étude. Certes, l’âge du salarié est identique à celui de Mme Bourgault. Cependant, le salarié est sollicité par l’employeur pour prendre la relève du chef de la direction et est engagé comme assistant au président. Il y a une obligation implicite de sécurité d’emploi, car il doit prendre la relève et présider l’entreprise. Comme dans l’affaire Transforce, il occupe un poste de cadre supérieur, ce qui n’est pas le cas dans le cas de Mme Bourgault. Enfin, le salarié n’a pas été capable de se trouver un autre emploi, ce qui n’est pas le cas de Mme Bourgault.
[69] L’affaire Merlitti[20] n’appuie pas non plus la position de Mme Bourgault. Dans cette affaire, M. Merlitti est engagé dans un poste de directeur du service à la clientèle avec comme objectif qu’il devienne directeur général de la société deux mois plus tard. Après environ cinq mois de service, il est congédié par Excel Cargo.
[70] Contrairement au cas présent, l’employeur dans l’affaire Merlitti a sollicité M. Merlitti afin qu’il quitte un autre emploi certain et rémunérateur où il avait travaillé depuis 26 ans, avait acquis une sécurité d’emploi et aurait eu droit à un délai de congé de 26 mois.
[71] Mme Bourgault s’appuie également sur l’affaire Veillette c. Produits chimiques Expro inc. où la Cour accorde un délai de congé de huit mois à un salarié qui est congédié avec seulement deux mois et demi en poste. Ici aussi, les faits sont différents du cas à l’étude. M. Veillette est d’abord engagé comme cadre alors que Mme Bourgault ne l’est pas. Le facteur déterminant dans la décision de la Cour supérieure d’accorder le délai de congé de huit mois découle du fait qu’Expro a sollicité M. Veillette pour quitter un emploi certain et rémunérateur. Ce n’est pas le cas ici. Enfin, M. Veillette n’a pu trouver un emploi comparable après le congédiement, contrairement à Mme Bourgault.
[72] L’affaire L’Homme c. Termaco ltée[21] se distingue aussi du cas présent. Dans cette affaire, le salarié est congédié après deux mois et demi de service et son employeur est condamné à lui verser une indemnité correspondant à un délai de congé de six mois. Or, le salarié est embauché dans un poste de directeur général de l’entreprise avec possibilité d’acquérir jusqu’à 20 % du capital-actions. De plus, il quitte un emploi lucratif pour joindre l’employeur parce que le seul actionnaire de l’entreprise lui a fait entrevoir de brillantes perspectives d’avenir. Enfin, le salarié n’a jamais pu se retrouver un emploi comparable avant une période de seize mois.
[73] L’affaire Archambault c. Literie Lunedor inc.[22] se distingue aussi du cas à l’étude. Il est vrai que dans cette affaire la Cour du Québec accorde une indemnité équivalente à huit mois de délai de congé à Mme Archambault malgré une durée de service relativement courte de deux mois.
[74] Cependant, Mme Archambault est engagée à titre de directrice générale de Literie Lunedor. Les actionnaires de l’entreprise l’ont embauchée dans le but de lui vendre les actions et de lui céder le contrôle de la compagnie, une perspective qui avait incité Mme Archambault à laisser un emploi rémunérateur.
[75] La nature de l’emploi et les perspectives d’avancement dans l’affaire Archambault sont différentes du cas présent et n’appuient pas la thèse de Mme Bourgault.
[76] En résumé, la nature de l’emploi (il ne s’agit pas d’un poste de cadre ou de direction ni de cadre intermédiaire), la durée de la prestation (deux mois et une semaine) et les circonstances de l’embauche (absence de sollicitation) militent en faveur d’un délai de congé plus court que long.
[77] Cependant, l’âge de Mme Bourgault et le temps qu’elle a pris pour trouver un emploi comparable militent en faveur d’un délai de congé plus long.
[78] La période de l’année à laquelle elle est congédiée milite également en faveur d’un délai de congé plus long. En effet, un employé qui est congédié la veille du long congé de la Saint‑Jean-Baptiste et en période estivale est mis dans une position plus difficile pour trouver un emploi comparable[23].