Par Me Paul-Matthieu Grondin, en collaboration avec Mariane Judge
Dans une cause du Tribunal administratif du travail, Bolduc c. Restaurant Siam Inc., une employée allègue avoir été victime d’un congédiement déguisé à la suite d’une réduction importante de ses heures de travail représentant un changement substantiel à ses conditions de travail en contravention à l’article 124 de la LNT.
L’employeur dit avoir réduit les heures de la plaignante en raison des impacts de la pandémie ainsi qu’en raison de la moindre disponibilité de celle-ci.
L’employeur doit justifier des modifications importantes au contrat de travail. En l’espèce, l’employeur ne convainc pas le tribunal de ses justifications pour la réduction des heures. Les heures de travail prévues à l’offre d’embauche étaient des conditions essentielles au contrat.
La réduction des heures de travail constitue donc en l’espèce un congédiement déguisé.
Voyez la façon dont le juge motive sa décision :
[48] L’article 124 de la LNT confère aux salariés ayant au moins deux ans de service continu dans une même entreprise une protection à l’encontre d’un congédiement fait sans cause juste et suffisante.
[49] Un congédiement peut prendre plusieurs formes, notamment celle où l’employeur apporte des modifications substantielles aux conditions essentielles du contrat de travail d’un salarié, qui les refuse.
[50] Dans l’arrêt Potter13, la Cour suprême indique que :
[30] Lorsque, par sa conduite, l’employeur manifeste l’intention de ne plus être lié par le contrat de travail, le salarié peut soit acquiescer à la conduite de l’employeur ou à la modification qu’il apporte au contrat, soit y voir la répudiation du contrat et intenter contre l’employeur une poursuite pour congédiement injustifié. C’est ce qui ressort de Farber, l’arrêt de principe en matière de congédiement déguisé au Canada, au par. 33. Comme le salarié n’a pas été formellement congédié, la mesure prise par l’employeur est appelée «congédiement déguisé». L’emploi du qualificatif « déguisé » indique que le congédiement s’entend d’une fiction juridique : les actes de l’employeur sont assimilés à un congédiement en raison de la manière dont ils sont qualifiés en droit.
[Notes omises]
[51] Il est reconnu qu’un employeur possède le droit de modifier les conditions de travail d’un employé dans la mesure où cela est permis par le contrat de travail14. L’arrêt de principe Farber15 définit ainsi l’analyse applicable afin de déterminer s’il s’agit d’un congédiement déguisé :
[26]. Pour arriver à la conclusion qu’un employé a fait l’objet d’un congédiement déguisé, le tribunal doit donc déterminer si la modification unilatérale imposée par l’employeur constituait une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail de l’employé. Pour ce faire, le juge doit se demander si, au moment où l’offre a été faite, une personne raisonnable, se trouvant dans la même situation que l’employé, aurait considéré qu’il s’agissait d’une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail. Le fait que l’employé ait été prêt à accepter en partie la modification n’est pas déterminant puisque d’autres raisons peuvent inciter l’employé à accepter moins que ce à quoi il a droit.
[27] Par ailleurs, il n’est pas nécessaire que l’employeur ait eu l’intention de forcer son employé à quitter son emploi ou qu’il ait été de mauvaise foi en modifiant de façon substantielle les conditions essentielles du contrat de travail, pour que celui-ci soit résilié. Toutefois, si l’employeur était de mauvaise foi, cela aurait un impact sur les dommages à accorder à l’employé. […]
[52] La Cour suprême a également pris soin de préciser qu’il appartient à l’employeur de démontrer que la mesure est raisonnable ou justifiée.
[53] À quelques occasions, le Tribunal a confirmé qu’une modification importante de l’horaire de travail ou une réduction significative des heures de travail constitue une modification substantielle à l’essence même du contrat de travail. Notamment, dans l’affaire Dumais18, le Tribunal analyse la jurisprudence concernant l’importance particulière du nombre et de la constance des plages horaires consenties dans le secteur de la restauration.
[54] Enfin, il est reconnu que le refus du salarié peut s’exprimer par le fait qu’il quitte son emploi à la suite des modifications imposées. Lorsqu’il continue tout de même à occuper ses fonctions, le dépôt d’une plainte ou d’un grief constitue également la manifestation d’un tel refus19.
[…]
[66] La plaignante a subi des changements substantiels dans ses conditions de travail sans que l’employeur n’ait pu les justifier par des motifs objectifs et raisonnables. Elle a été victime d’un congédiement déguisé. Elle a perdu plus de 50 % de ses heures de travail en plus de la totalité des fermetures qui lui étaient auparavant assignées.