Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration de Mariane Judge
Dans une cause du Tribunal administratif du travail, Tino c. Swissh Commercial Equipment Inc., une commis comptable allègue que sa fin d’emploi visait à éluder l’application de la Loi sur les normes du travail (« LNT ») puisqu’elle était sur le point de compléter ses deux ans d’ancienneté.
Alors qu’elle était mise à pied de façon temporaire en raison de la pandémie, une employée a été congédié huit jours avant l’acquisition de ses deux ans de service continu. Elle allègue que l’employeur voulait ainsi l’empêcher de bénéficier de la protection contre les congédiements sans cause juste et suffisante que lui procure l’article 124 de la LNT.
L’employeur quant à lui soutient que la seule proximité de huit jours à l’obtention de l’ancienneté de deux ans ne suffit pas pour établir la présomption en faveur de l’employée. Il explique également avoir mis fin à l’emploi en raison de difficultés financières de l’entreprise pendant la pandémie.
En l’espèce, l’employeur a renversé la présomption applicable en prouvant qu’il a mis fin à l’emploi de la plaignante pour des motifs financiers. La plainte est donc rejetée.
Voyez la façon dont la juge administrative motive sa décision :
10] L’article 123.4 de cette même loi renvoie à l’article 17 du Code du travail qui établit une présomption simple à l’égard de la salariée :
- S’il est établi à la satisfaction du Tribunal que le salarié exerce un droit qui lui résulte du présent code, il y a présomption simple en sa faveur que la sanction lui a été imposée ou que la mesure a été prise contre lui à cause de l’exercice de ce droit et il incombe à l’employeur de prouver qu’il a pris cette sanction ou mesure à l’égard du salarié pour une autre cause juste et suffisante.
[…]
[12] Une fois la présomption établie, l’employeur doit, pour la renverser, prouver une autre cause juste et suffisante étrangère à l’exercice du droit et qui ne constitue pas un prétexte.
[13] Dans le présent cas, la plaignante invoque le paragraphe 5 de l’article 122 de la LNT la tentative d’éluder l’application de la Loi.
[…]
[15] Il peut être très difficile, voire impossible, pour une salariée d’établir la preuve que l’employeur l’a sanctionnée afin de l’empêcher d’acquérir ses deux ans de service continu. Exiger la démonstration d’un stratagème, reviendrait à exiger la preuve directe que l’employeur a voulu éluder l’application de la loi, et dans ce cas, le législateur n’aurait pas créé de présomption, puisque cette dernière n’aurait pas été nécessaire.
[16] C’est pourquoi la jurisprudence a établi que la plaignante n’a pas à démontrer l’existence d’un stratagème, elle doit prouver des indices ou des éléments, laissant entrevoir la possibilité d’un stratagème de l’employeur dans sa prise de décision.
[17] Toutefois, selon la jurisprudence majoritaire, le critère de la concomitance entre la proximité de la date où elle allait acquérir le bénéfice de la protection de l’article 124 et la mesure de représailles n’est pas suffisant pour accorder le bénéfice de la présomption. La salariée doit aussi démontrer des faits ou des situations qui soulèvent des interrogations laissant entrevoir la possibilité d’un stratagème derrière la décision de l’employeur de lui imposer une mesure.
[…]
[32] Le Tribunal ne retient pas cet argument, la notion d’exercice du droit doit être interprétée de façon large et libérale et la plaignante n’a pas à démontrer le stratagème, mais seulement des indices laissant entrevoir celui-ci. La proximité entre la sanction et la date d’atteinte des deux ans de service ainsi que le motif inscrit au relevé d’emploi alors que l’employeur ne lui a jamais fait part de ses erreurs constituent des indices suffisants pour que la présomption s’applique.
[…]
[52] En conclusion, l’employeur a repoussé la présomption voulant que la fin d’emploi de la plaignante découle de sa volonté d’éluder l’application de la Loi. Rien dans les agissements de l’employeur ne permet de déceler un stratagème pour se départir de ses services avant qu’elle puisse se prévaloir du recours prévu à l‘article 124 de la LNT. Au contraire, l’employeur avait un motif sérieux et véritable pour abolir son poste en raison de difficultés financières et mettre fin à son emploi, même si son approche aurait pu être plus rigoureuse et transparente.