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Une illustration du débat continuel entre le droit de gérance et le congédiement déguisé

14 septembre 2022

Par Me Paul-Matthieu Grondin

 

 

Dans Ayouby c. Mediterranean Shipping Company (Canada) inc., une décision de la Cour du Québec, on n’accorde pas d’indemnité de départ à une gestionnaire qui était à l’emploi de la compagnie depuis presque 3 ans.

Le dossier est intéressant puisqu’on promeut l’employée à un poste de gestion au sein de l’entreprise, avec une période probatoire quant à ce nouveau poste. Quelques anicroches se produisent alors qu’elle est dans cette période probatoire, et il semble raisonnablement clair qu’elle ne remplit pas les objectifs du poste, qui ont été expliqués à l’avance. À la fin de la période probatoire, elle est « rétrogradée » à un poste de ventes, tout en gardant le même salaire. Elle annonce ensuite qu’elle quitte l’entreprise, sentant qu’elle n’aura plus d’opportunités d’avancement, et se déclare congédiée de façon déguisée, ce qui donnerait ouverture à une indemnité de départ.

Dans un jugement complet, le tribunal explique que l’employée a été promue souvent, qu’elle aurait probablement eu d’autres opportunités et que sa « rétrogradation » demeure du ressort du droit de gérance de l’employeur. Voyez plutôt :

 

 

[16]        Premièrement, l’Employeur embauche l’Employée sur un contrat de travail qui ne lui garantit pas un poste de gestionnaire. L’intention des parties lors de la formation du contrat de travail initial n’est pas d’engager l’Employée comme gestionnaire[17]. En février 2015, l’Employée décroche un poste de « trainee coordinator » pour une période d’un mois[18] puis elle est transférée en mars 2015 dans un poste de « customer service representative » pour une période de probation de trois mois qu’elle réussit[19]. En décembre 2015, elle est promue au poste de « VIP executive » et elle reçoit deux évaluations positives en avril 2016 et août 2016 puis on lui octroie une hausse salariale[20]. En octobre 2016, l’Employée est promue au poste de « VIP/Reefer Manager » avec une hausse salariale pour une période probatoire de 6 mois qui sera prolongée de trois mois en avril 2017 et de trois mois en juillet 2017 avant sa fin d’emploi[21].

 

(…)

 

[19]        Deuxièmement, l’Employeur possède des motifs sérieux pour ne pas régulariser l’Employée dans le poste de gestionnaire. En effet, l’Employeur démontre que les objectifs de rendement attendus ne sont pas atteints pendant la période de probation. L’Employeur a ainsi un motif sérieux pour ne pas maintenir l’Employée dans le poste de gestionnaire, et lui proposer plutôt un retour dans son poste précédent[23]. De plus, l’Employeur possède une latitude plus grande dans son droit de gestion et direction si l’Employée est en période de probation, étant donné que le but est d’évaluer les capacités et aptitudes pour occuper un poste[24].

 

(…)

 

[33]        Troisièmement, l’Employeur propose une offre à l’Employée qu’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances pourrait accepter. En effet, l’Employée peut retourner dans son poste précédent pour lequel elle s’est montrée performante tout en conservant son traitement salarial de gestionnaire. La preuve révèle que le poste de représentante est différent du poste de gestionnaire. En effet, l’Employée n’aurait plus de personnes sous sa charge, son espace physique de travail changerait et ses tâches seraient de la nature du service aux clients. Néanmoins, le poste de représentante correspond à l’intention commune des parties lors de l’embauche initiale, et il est adéquat en fonction de la formation de l’Employée, de son expérience et de ses compétences démontrées. De plus, elle éprouvait de la satisfaction à accomplir les tâches de représentante.

 

(…)

 

[36]        Quatrièmement, l’Employée annonce clairement qu’elle quitte l’entreprise et n’y revient plus dans les faits. En effet, à la suite de la rencontre bilan de fin de probation du 5 octobre 2017, l’Employée annonce au Vice-président services qui est son supérieur hiérarchique qu’elle refuse l’offre de retourner dans le poste de VIP/Executive. Bien qu’elle soit invitée à y réfléchir pendant quelques jours, l’Employée se rend directement à son bureau pour récupérer ses affaires personnelles et annoncer aux membres de son équipe qu’elle quitte l’entreprise. Elle passe également par les bureaux de la Directrice des ressources humaines et du président Monsieur Sokat Sheikh (Le Président) de la filière canadienne de l’entreprise pour les informer de son départ à regret. Par la suite, elle ne recontacte pas l’Employeur, et ne revient pas sur les lieux de travail.

 

(…)

 

[38]        En résumé, le Tribunal retient de la preuve que l’Employeur exerce son droit de gérance pour ne pas régulariser l’Employée dans un poste de gestionnaire sur la base que le mandat de gestion n’est pas accompli en douze mois, et qu’elle préfère quitter l’Entreprise plutôt que de revenir à un poste de représentante dans l’attente d’une nouvelle opportunité de gestion dans le futur.

[39]        Le Tribunal estime qu’il est démontré de manière prépondérante que l’Employeur a un motif sérieux lié au rendement pour ne pas maintenir l’Employée dans un poste de gestionnaire au terme de sa période de probation. Des exigences claires et répétées notamment quant à la création de lignes directrices pour le département et à la formation du personnel n’ont pas été respectées par l’Employé qui doit démontrer par ses actions qu’elle a les aptitudes de gestion requises pour le poste pendant la période de probation.

[40]        L’Employeur manifeste qu’il désire la garder et maintient le même traitement salarial, mais l’Employée annonce qu’elle quitte à regret, et elle ne revient jamais en arrière ce qui peut être interprété de manière manifeste comme une démission. Par conséquent, le Tribunal conclut que l’Employée n’est pas congédiée de manière déguisée, et qu’elle n’a donc pas droit à un délai-congé.