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Une indemnité de départ de 8 semaines pour un vice-président dans le domaine informatique jugée insuffisante par la Cour supérieure

2 février 2024

Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration de Juliette Fucina

 

 

Dans l’affaire Melanson c. Groupe Cantrex Nationwide de 2014, la Cour supérieure statue quant à une requête introductive d’instance dans laquelle le demandeur, un vice-président division informatique et service de détail aux membres, réclame dix-huit (18) mois de rémunération à titre d’indemnité de départ, ce qui équivaut à 285 560,40 $.

 

Au soutien de sa requête, le demandeur explique qu’il a occupé le poste de vice-président, division informatique et service de détail aux membres chez la défenderesse pendant 12 ans et ainsi que l’indemnité de départ de 8 semaines qu’elle lui offre n’est pas suffisante.

 

La défenderesse s’oppose à cette demande en soutenant qu’elle a aboli le poste du demandeur pour des raisons économiques et de restructuration. En outre, elle affirme que l’indemnité de départ offerte au demandeur est raisonnable vu le poste de cadre intermédiaire qu’il occupait et en ligne directe avec les compensations octroyées par les tribunaux dans des circonstances semblables. La cour déterminera qu’il était plutôt un cadre supérieur.

 

Ainsi, la question en litige et celle qui fait l’objet de ce billet est donc la suivante : la durée du délai de congé est-elle raisonnable ? Suivant la preuve présentée par les parties et la jurisprudence en la matière, la Cour n’aura pas de difficultés à répondre par la négative à cette question et à octroyer quinze (15) mois de salaire au demandeur.  Comme les lecteurs de ce blogue le sauront, les indemnité de départ relèvent toujours de l’appréciation du juge.

 

Voyez de manière plus précise la façon dont l’Honorable Mainville motive sa décision :

 

[23]         Il est reconnu en jurisprudence que la situation financière de l’employeur ou la restructuration d’une entreprise ne constitue pas une cause juste et suffisante de congédiement. Il est également reconnu que le délai de congé est à vocation indemnitaire, ne doit pas rendre illusoire le droit de l’employeur de congédier un salarié et que ce dernier a l’obligation de minimiser ses dommages. Cependant, le salarié ne peut renoncer au droit qu’il a d’obtenir une indemnité en réparation du préjudice qu’il subit lorsque le délai de congé est insuffisant (art. 2092 C.c.Q.).

[…]

[27]        La preuve révèle que M. Melanson a été à l’emploi de Cantrex pendant 12 ans. Il avait 57 ans au moment de son renvoi. 

[28]         Pendant toutes ces années M. Melanson s’est toujours bien acquitté de ses fonctions. Il a été performant dans son travail et dévoué à la tâche. Ses performances ont d’ailleurs été récompensées par des bonis importants en fin d’année. Il n’y a aucune preuve que M. Melanson ait été l’objet d’avertissement, de remontrance ou de reproche avant de perdre son emploi.

[29]        La preuve révèle également que M. Melanson a joué un rôle proactif lors de la restructuration de Cantrex avant son acquisition par Nationwide et alors que l’entreprise éprouvait de grosses difficultés au sein de Sears. Ainsi, M. Melanson a fait des démarches afin de présenter différents joueurs à Cantrex dans le but d’une association éventuelle. À cette fin, M. Melanson a fait des démarches auprès du Groupe Rona et de Home Hardware. 

[30]        M. Melanson siégeait aussi sur le comité exécutif. Même s’il arrivait parfois, que des directeurs siègent au sein de ce comité, comme en a témoigné madame Ghaleb, cela ne signifie pas pour autant que M. Melanson n’était pas un cadre supérieur.

[31]        Au surplus, en 2011, M. Melanson s’est vu confier la charge de vice-président à l’informatique en plus de sa tâche de vice-président service vente au détail, et ce, dans une situation de crise. 

[32]        Tous ces éléments démontrent que M. Melanson était plus qu’un simple cadre intermédiaire chez Cantrex. Il occupait un poste important et sans être un des hauts dirigeants au sein de l’entreprise, il exerçait des fonctions de cadre supérieur. 

[…]

[39]        Comme le rappelle la Cour suprême dans Evans c. Teamsters local Union[9], « il incombe à l’employeur de démontrer, d’une part, que l’employé n’a pas fait d’efforts raisonnables pour trouver du travail, et d’autre part qu’il aurait pu en trouver (référence omise) ».

[40]        Cantrex a demandé à M. Melanson d’apporter les documents démontrant les démarches effectuées pour se trouver un emploi. Ces documents d’au moins un pouce d’épaisseur ont été remis à Cantrex lors des audiences. Après consultation, la procureure de Cantrex a décidé de ne pas les produire en preuve. C’est son droit. Cependant, le Tribunal constate qu’elle était en mesure d’apporter les éléments de preuve pour appuyer son argument voulant que M. Melanson n’ait pas adéquatement minimisé ses dommages. Le Tribunal juge donc opportun d’appliquer la règle énoncée par la Cour suprême dans Lévesque c. Comeau et al.[10], selon laquelle « dans de telles circonstances un tribunal doit présumer que ces éléments de preuve lui seraient défavorables ».

[41]        Le Tribunal est satisfait des explications données par M. Melanson quant aux nombreuses démarches qu’il a effectuées pour se trouver du travail, aux raisons pour ne pas en avoir fait dans le domaine de l’informatique et à la façon dont il a sollicité les entreprises et ses contacts. 

[42]        À ce jour, M. Melanson n’a pas été capable de se trouver un emploi malgré tous ses efforts en ce sens. Il vit de ses économies. Il a témoigné du peu d’ouverture de postes dans sa spécialité, preuve qui n’a pas été contredite. Il est par ailleurs évident qu’à 57 ans, il n’est pas facile de se trouver un nouvel emploi. Il est aujourd’hui âgé de 59 ans.

[43]        Lors des plaidoiries, la procureure de Cantrex a avisé le Tribunal que sa cliente était prête à offrir à M. Melanson un délai de congé de 12 mois avec pleine rémunération, excluant le boni du programme d’intéressement. 

[44]        En l’espèce, les circonstances du présent dossier militent en faveur d’un délai-congé de 15 mois. Le Tribunal tient compte ici des années de services de M. Melanson auprès de Cantrex (12 ans), son âge au moment de son renvoi (57 ans), son dossier d’emploi exemplaire, la nature de ses fonctions, de la difficulté de se trouver un emploi dû à la rareté dans le domaine de sa spécialité, des efforts de mitigation et de la jurisprudence en semblable matière.