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La justiciabilité de l’inaction gouvernementale en matière d’environnement

22 mars 2022

Par Me Igor Hubin, avec la collaboration de Dr Alain Bestavros

 

Le réchauffement planétaire semble désormais une réalité scientifique incontestable. Le Canada, comme plusieurs pays, est signataire de diverses ententes internationales visant la réduction de la production de gaz à effet de serre responsables en grande partie du réchauffement planétaire. Or, comme plusieurs de ces pays, le gouvernement du Canada n’a pas à ce jour implanté de cibles ou de mesures législatives internes suffisantes pour atteindre les objectifs établis.

En 2018, Environnement Jeunesse, un organisme à but non-lucratif ayant pour mission principale la protection de l’environnement, dépose une demande d’autorisation d’exercice d’une action collective contre le Procureur général du Canada à titre de représentant du gouvernement.[1] L’action collective envisagée par Environnement Jeunesse visait une déclaration que le gouvernement a failli à son obligation de protéger les droits fondamentaux de ses citoyens, la cessation de cette violation et l’octroi de dommages punitifs. En première instance, l’Honorable Gary D.D. Morrison de la Cour supérieure refuse d’autoriser l’action collective au seul motif que le groupe proposé par Environnement Jeunesse ne justifiait pas l’utilisation du véhicule procédural de l’action collective, refusant d’écarter à cette étape de filtration la justiciabilité du recours envisagé.

Devant la Cour d’appel du Québec, Environnement Jeunesse prétend notamment que le juge de première instance a erré en rejetant le demande d’autorisation de son action collective. De son côté, le Procureur général du Canada avance que le juge de première instance a erré dans son analyse de la justiciabilité même du recours, élément constitutif de la condition d’autorisation d’une action collective voulant que les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées par le demandeur. Jugeant ce dernier argument prépondérant, la Cour d’appel se penche principalement sur cet élément.

Le principe de la séparation des pouvoirs est au cœur-même de tout système démocratique. La Constitution du Canada permet que le pouvoir judiciaire intervienne lorsque l’État promulgue des lois jugées discriminatoires ou contraires à des droits protégés par les Chartes.  Les tribunaux se sont déjà permis d’intervenir pour forcer le gouvernement à agir dans des cas où l’exclusion d’un groupe de personne d’un régime juridique est jugée discriminatoire[2], pour contraindre l’État à élargir le champ d’application d’une loi à portée trop limitative[3], ou encore pour forcer le gouvernement à donner les mêmes droits à deux groupes similaires de personnes[4].  Toutes ces circonstances ont en commun l’existence d’un texte de loi sur lequel les Tribunaux sont appelés à se prononcer.

Dans le cas qui nous occupe, cependant, Environnement Jeunesse ne conteste aucun texte de loi spécifique. Le gouvernement du Canada est plutôt blâmé pour son inaction.

La Cour d’appel conclut unanimement qu’il ne revient pas au pouvoir judiciaire de choisir les orientations politiques du gouvernement.  L’appel d’Environnement Jeunesse est donc rejeté en raison de l’objet intrinsèquement injusticiable du recours envisagé.  La Cour explique : « le contrôle du pouvoir législatif et son opportunité d’agir échappent en principe au pouvoir judiciaire ».[5]  Malgré le sérieux de la question du réchauffement climatique, les tribunaux ne peuvent pas – et ne devraient pas – dicter au pouvoir législatif les directions à prendre en l’absence de texte de loi contesté ou d’action positive du gouvernement.  La Cour conclut que la déférence judiciaire s’impose et que le pouvoir législatif est le mieux placé pour soupeser les innombrables enjeux du réchauffement climatique.

Ainsi, le principe de la séparation des pouvoirs permet généralement au pouvoir judiciaire d’exercer une surveillance sur le pouvoir législatif et de lui ordonner de poser certains actes.  Cependant, toute cause visant à contraindre le pouvoir législatif à poser des actes n’est pas nécessairement justiciable. En l’absence d’un texte législatif spécifiquement contesté ou d’un acte positif, le pouvoir judiciaire ne devrait pas dicter au gouvernement dans quelle direction légiférer, et ce même dans le cas d’enjeux aussi névralgiques que le réchauffement climatique.

 

[1] Environnement Jeunesse c. Procureur général du Canada, 2019 QCCS 2885.

[2] Dunmore c. Ontario (Procureur général), [2001] 3 R.C.S. 1016.

[3] Vriend c. Alberta, [1998], 1 R.C.S. 493.

[4] Assoc. des femmes autochtones du Canada c. Canada, [1994] 3 R.C.S. 627.

[5] Environnement Jeunesse c. Procureur général du Canada, 2021 QCCA 1871, par. 29.